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clos, s’ouvrirent tout grands… et pendant quelques secondes une dernière étincelle de vie et de jeunesse rendit ce regard plus limpide, plus brillant, plus beau, qu’il n’avait jamais été…

À mesure que les yeux de Scipion s’ouvraient davantage, ceux de son père, qu’ils semblaient attirer par une sorte de fascination, s’agrandirent aussi, et s’arrondirent d’une manière si effrayante, que la pupille s’entoura d’un cercle de blanc.

Les lèvres de Scipion s’agitèrent alors faiblement comme s’il eût voulu parler.

Le comte s’en aperçut, et murmura ces paroles, les seules… toujours les seules, qui venaient à son esprit troublé :

— Il va me dire : Tu as tué ton fils ! tu as tué ton fils !

Scipion se prit bientôt à sourire d’une façon étrange, et dit d’une voix de plus en plus affaiblie, qui expira avec son dernier soupir :

— Tu m’as… tué… mais… c’est égal… j’ai gagné… Tu n’épouseras pas… Madame… Wilson… c’est ta faute… Je suis… ton exemple… j’ai fait ce que tu as fait… tu sais… la princesse… de Montbar… Dis donc, qui aurait cru pourtant que le jeune père… deviendrait le père… assassin ? c’est drôle… Je vais… conter ça… à grand papa Du-Riz-de-veau

Au seul de l’éternité, cet indomptable et malheureux enfant terminait sa courte vie par un dernier sarcasme.

— Scipion… mon fils… ne meurs pas ! — s’écria le comte d’une voix terrible, car la réalité le rappelait à lui.

Et se jetant à corps perdu sur le cadavre de son fils, il couvrit son visage, ses cheveux, ses mains, de baisers insensés.

Un souvenir fugitif comme l’éclair vint rappeler à la pensée de Martin, comme contraste d’un redoutable enseignement, la mort sublime du docteur Clément… les paroles remplies de grandeur et de sérénité que lui et son noble fils avaient échangées à cette heure solennelle !!

 

Martin restait pétrifié d’épouvante ; Basquine et Bamboche, qui du fond des ténèbres où ils se tenaient, venaient d’apercevoir leur compagnon d’enfance… muets… effrayants… l’œil sec et ardent, lui montraient d’un geste impitoyable ce malheureux père se roulant sur le corps inanimé de son fils…

Cette froide férocité exaspéra Martin et l’arracha de sa stupeur.

Traversant rapidement la chambre sans être aperçu du comte qui, éclatant en sanglots déchirants, en cris inarticulés, se tordait sur le