Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/199

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

De retour chez lui, le comte, suivant l’avis de Beaucadet, crut prudent de faire quelques recherches dans la chambre de Martin sur qui de graves soupçons planaient alors.

Ces recherches furent d’abord vaines ; mais M. Duriveau, trouvant une malle fermée, s’était cru autorisé à la forcer, et y avait pris un coffret de bois blanc renfermant le cahier manuscrit des Mémoires de Martin, accompagné d’une lettre au roi.

Cette correspondance de son valet de chambre avec un roi, excitant vivement la curiosité de M. Duriveau, il avait emporté le manuscrit des Mémoires dans sa chambre, et s’était mis à les lire alors qu’une heure du matin sonnait à l’horloge du château du Tremblay.

Telles étaient, on le sait, les premières lignes des Mémoires de Martin :

« Je n’ai conservé qu’une idée confuse et incomplète des événements qui ont précédé ma huitième ou ma neuvième année. Cependant, de cet obscur passé déjà si lointain, j’ai gardé la mémoire d’une jeune belle femme dont les doigts agiles faisaient presque continuellement bruire les fuseaux d’un métier à dentelles tout couvert de brillantes épingles de cuivre ; le cliquetis sonore des fuseaux faisait ma joie ; il me semble l’entendre encore ; mais, le soir, cette joie se changeait en admiration ; couché dans mon petit lit, je voyais cette même jeune femme, ouvrière infatigable (ma mère peut-être), travailler à la lueur d’une chandelle dont la vive clarté redoublait d’éclat en traversant une eau limpide renfermée dans un globe de verre ; la vue de ce foyer lumineux me causait une sorte d’éblouissement et d’extase auquel le sommeil seul mettait un terme. »

Lors même que la curiosité de M. Duriveau n’eût pas été excitée par d’autres motifs, les lignes seules que nous venons de rappeler auraient suffi pour attirer vivement son attention, sinon son intérêt, sur ces Mémoires.

La jeune fille qu’il avait autrefois séduite était une ouvrière en dentelles, comme la jeune femme que Martin croyait être sa mère…

Elle se nommait Perrine Martin… et le valet de chambre dont il lisait les Mémoires se nommait Martin…

Enfin l’âge que celui-ci paraissait avoir, certaines particularités de ressemblance physique, d’abord à peine remarquées par le comte, mais que ces premiers soupçons rappelèrent aussitôt à sa mémoire ; toutes ces circonstances réunies, sans convaincre M. Duriveau que