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être ? — Puis tout à coup il s’écrie : — Je parie que c’est une lettre de Fifine ?… — Fifine est un rat de l’Opéra, drôle de petit corps, qui est un peu la maîtresse de tous ces Messieurs du club. — Tu devines tout, Blinval ! on ne peut rien te cacher, — répondit mon pauvre maître, dont le front était couvert de gouttes de sueur. — Eh bien ! — ajoute Leporello, — avouez que, sans mon aplomb, et j’ose dire sans mon intelligence, il arrivait de beaux malheurs, car M. de Blinval est brave comme un lion ; il tire le pistolet comme un dieu, et demain mon maître était mort… si le mari avait vu cette lettre ; ce qui n’empêche pas qu’on dit de nous : Ces canailles de domestiques !

Ça me rappelle un admirable trait de sang-froid du dernier amant de la duchesse de Rullecourt, — dit Astarté, — et vous pourrez donner, dans l’occasion, la recette à votre maître, Leporello. Cet amant reçoit une lettre de la duchesse dans des circonstances absolument pareilles… sauf qu’il n’avait pas un intelligent Leporello pour le servir… L’imbécile de valet de chambre apporte donc la lettre de la duchesse. — Tiens… — dit le duc à l’amant — une lettre de ma femme ? Elle t’écrit donc ? — L’amant ne répond rien, lit la lettre avec un sang-froid superbe, et répond ensuite au duc. — Que le diable l’emporte, va ! ta femme ! — Comment ! — Tiens, tu feras la commission. — Et l’amant prend sur sa cheminée deux louis qu’il donne au mari. — Pourquoi ces deux louis ? — dit celui-ci.— Et pardieu, pour une de ces insupportables quêtes dont toutes les dames patronnesses nous poursuivent, et ta femme ne m’a pas manqué. — Ce disant, l’amant jette la lettre au feu…

— Bravo…

— C’est très-fort, — dirent plusieurs voix.