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— En sortant de mon cabinet, le voleur s’est heurté dans le corridor ; il a renversé un meuble. Éveillé par le bruit, je me suis levé… j’ai pris ma lumière, j’ai ouvert ma porte ; voyant un homme fuir dans le corridor, j’ai saisi une arme, et je me suis élancé à sa poursuite en criant au voleur.

— C’est alors, et en vous entendant, Monsieur, que je me suis précipité dans le corridor… armé d’un couteau-poignard, j’ai voulu arrêter ce bandit : dans notre lutte, il m’a frappé… j’ai riposté… et je l’ai tué…

— Ce misérable devait connaître les êtres de la maison… il aura su que… j’avais… renvoyé… mon domestique… il aura… cru que personne… ne… couchait ici… et…

— Mon Dieu, Monsieur, — m’écriai-je en entendant mon maître parler d’une voix entrecoupée, et en voyant ses traits, couverts d’une pâleur de plus en plus livide, exprimer le sentiment d’une vive douleur, — Monsieur… qu’avez-vous ?

— Rien… rien, — me dit le docteur en s’appuyant néanmoins d’une main au dossier de mon lit… tandis qu’il portait vivement son autre main sur son cœur, comme s’il y eût éprouvé une souffrance aiguë.

— Ce n’est rien, te dis-je, — reprit-il d’une voix de plus en plus oppressée, — les émotions violentes… me sont contraires… et… ce vol… tu conçois… mais, — ajouta-t-il, en paraissant faire un violent effort sur lui-même :

— J’aurai toujours le temps… de te panser… Heureusement, voilà… Suzon.

En effet, Suzon rentrait, accompagnée de deux hommes, le portier de la maison voisine et son fils.

— Suzon… vite… ma boîte à pansement, — s’écria mon maître ; — je ne me sens pas bien, mais j’aurai le temps de mettre un premier appareil… sur la blessure de ce digne garçon.

Et, surmontant ses douleurs atroces avec un courage héroïque, mon maître, quoiqu’il fût obligé de s’y reprendre à trois fois, pansa ma blessure d’une main ferme ; mais à peine m’eut-il donné ses