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Le 28 février de l’an 1428, vers le déclin du jour, une foule d’habitants de Vaucouleurs, hommes, femmes, enfants, se pressaient aux abords du château, foule avide, impatiente, enthousiaste. Jugez-en, fils de Joel, par ces paroles échangées entre nos citadins.

— Vous êtes certain qu’elle sortira du château par cette porte ?

— Il le faudra bien… l’on ne peut sortir à cheval par la poterne ; Jeanne suivra ensuite le rempart avec le sire de Novelpont, qui l’accompagne en ce long voyage. D’ici, nous la verrons parfaitement.

— Sainte fille ! tous nos cœurs sont avec elle ! !

— La voilà donc accomplie la prédiction de Merlin : La Gaule, perdue par une femme, sera sauvée par une vierge des marches de la Lorraine d’un bois chesnu venue !

— Enfin, elle va nous délivrer des Anglais ! le pauvre monde va respirer !

— Plus d’alerte, plus d’incendie, de pillages, de massacres !

— Dieu nous envoie Jeanne-la-Pucelle… gloire à Dieu !

— Une fille des champs, pourtant… une simple bergère !

— Le Seigneur Dieu l’inspire… elle vaut une armée.

— Vous savez, messires, que maître Tiphaine, le curé de la paroisse Saint-Euterpe, s’est chargé d’exorciser la Pucelle dans le cas où elle eût été sorcière et possédée du démon. Le clerc portait la croix, l’enfant de chœur l’eau bénite, maître Tiphaine le goupillon. Cependant il n’osait point trop s’avancer devers la Pucelle, craignant quelque tour du malin esprit. — « Approchez, approchez, bon père, — lui a dit Jeanne en riant, — je ne m’envolerai pas[1]. »

— Chère âme… elle était bien certaine d’être fille de Dieu !

— Évidemment elle était vierge puisque après l’exorcisme il n’est sorti de sa bouche aucun démon griffu !

— Tout le monde sait en effet que le diable ne habiter le corps d’une pucelle ; donc, Jeanne ne saurait être une sorcière, quoi qu’on ait dit de Sybille, sa marraine.


  1. Procès de réh., t, II, p. 367.