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rémy, son courage, sa prompte décision, son élan, avaient changé la défaite en victoire ? Dieu et ses saintes aidant, ne pourrait-elle pas être aussi victorieuse lors d’une bataille véritable ?




Jeanne était pieuse, de cette piété ingénue qui élève et rapporte tout à Dieu, créateur de toutes choses ; elle le remerciait avec effusion de se manifester à elle par l’intermédiaire de ses saintes, qu’elle croyait voir et entendre pendant ses hallucinations ; mais-elle ne ressentait pas pour les prêtres la confiance que lui inspiraient sainte Catherine et sainte Marguerite ; elle accomplissait pieusement ses devoirs catholiques, se confessait, communiait souvent, selon l’usage, sans pourtant jamais dire un mot de ses révélations à maître Minet, son curé, ni à aucun autre clerc[1]. Elle renfermait au plus profond de son cœur ses vagues aspirations à la délivrance de la Gaule, les cachant même à sa petite amie Mangeste, et à sa grande amie Hauguette, gardant aussi son secret envers sa mère, son père, ses frères. Pendant trois ans, elle s’imposa sur ces mystères de son âme un silence absolu ; grâce à un puissant empire sur elle-même, elle se montra, comme par le passé, laborieuse, active, s’employant aux travaux des champs ou du ménage, malgré la croissante obsession de ses voix, qui, de plus en plus impérieuses, lui répétaient presque chaque jour :

« — Va, fille de Dieu ! les temps sont venus !… marche au secours de la patrie envahie !… Tu chasseras les Anglais, tu sauveras ton roi, tu lui rendras sa couronne !… »

Les hallucinations de Jeanne redoublèrent à mesure qu’elle approcha de sa dix-septième année ; les grands desseins dont elle se sentait devoir être l’instrument prenaient de plus en plus possession d’elle-même… Cette obsession incessante, douloureuse, la poursuivait partout.



  1. Procès de condamnation, t. I, p. 80.