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patriotisme, de son bon sens, de son courage, et qui, dans son enfance et avant qu’elle fût sujette à des hallucinations, lui avaient dit :

« — Les Anglais ravagent la Gaule… abhorre ces méchants. »

Et elle les abhorra.

« — Ton roi, digne de respect et d’affection, est malheureux, abandonné de tous… plains-le… »

Et elle le plaignit.

Cette voix qui, lors de la bataille enfantine des garçonnets de Maxey contre ceux de Domrémy, disait à Jeannette :

« — Qui a encore la force de fuir, a encore la force de se battre. »

Et ralliant les enfants en déroute elle les rendit vainqueurs.

Cette voix qui, lors de sa première hallucination, lui dit :

« — Jeanne, sois sage et pieuse, Dieu a des vues sur toi… tu chasseras l’étranger de la Gaule. »

Enfin, cette voix était aussi la révélation du génie militaire de cette jeune fille, qui devait longtemps encore ignorer sa vocation guerrière, de même que tant de grands capitaines ont ignoré leur aptitude jusqu’au jour où les événements l’ont mise en lumière et en œuvre. Une cause matérielle, un désordre profond, irrémédiable, jeté dans la santé de Jeanne, réagit sur son cerveau, la rend visionnaire ; mais telle est l’ardeur de son patriotisme qu’il s’exalte, se reproduit, s’incarne dans ces visions.

Monomane sublime… Jeanne avait pour monomanie la délivrance de la Gaule ! !




Du mois de juillet 1425 jusqu’au mois de février 1429, depuis la quatorzième jusqu’à la dix-septième année de Jeanne, trois ans s’écoulèrent. De plus en plus sujette aux hallucinations, elle rêvait éveillée ; tantôt elle croyait voir, elle voyait sainte Marguerite et sainte Catherine venir à elle souriantes et l’embrasser tendrement[1] ; tantôt

  1. Procès de condamnation, t. I, p. 77.