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Jeanne Darc ; la vive lumière dont avait été éblouie sa vue, la voix mystérieuse dont avait été frappée son oreille, furent ses premières hallucinations, résultant d’ailleurs d’un concours de raisons diverses, et surtout du saisissement qui, la frappant en son âge pubère, devait pour toujours la soustraire à l’infirmité ordinaire à son sexe. Cette profonde perturbation des lois naturelles, faisant affluer violemment de temps à autre le sang à son cerveau troublé, la rendit dès lors sujette à des hallucinations fréquentes ; mais, à l’encontre de tant d’autres visionnaires, dont les visions sans liens, sans but, flottent au gré de l’égarement de leur raison, celles de Jeanne se rattachèrent toujours à leur cause première : l’épouvante dont elle avait été frappée à l’aspect du massacre des habitants du hameau de Saint-Pierre ; de là son horreur des Anglais et son patriotique désir de les chasser de la Gaule. Enfin, l’esprit nourri des mystérieuses légendes de sa marraine, l’imagination frappée de la prophétie de Merlin, le cœur rempli d’une ineffable compassion pour son jeune roi, qu’elle croyait digne d’intérêt, navrée surtout des maux affreux dont souffraient les gens de sa condition rustique, plus exposés que personne aux rapines, aux violences sanguinaires des Anglais ; ressentant contre eux cette vaillante haine dont les poursuivaient Guillaume-aux-Alouettes et le Grand-Ferré, héros obscurs, fils de la Jacquerie et précurseurs de la bergère de Domrémy, elle dut un jour se croire destinée à bouter l’étranger hors de France et à rétablir son roi sur le trône !

Oui, les visions de l’héroïne plébéienne procédaient de l’exaltation de son amour pour la mère-patrie ; ces voix mystérieuses, si influentes sur sa destinée, auxquelles plus tard elle obéit toujours dans les circonstances les plus importantes de sa vie, n’étaient qu’un écho agrandi, transformé par son imagination ; l’écho de cette voix que tous nous avons en nous, que nous consultons, à moins que notre conscience ou notre courage chancellent. Oui, ces voix que Jeanne croyaient entendre extérieurement n’étaient que les voix internes de son