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le maréchal Jean de Luxembourg, ils continuaient le siége de Vaucouleurs ; cette place se défendait héroïquement. L’invasion anglaise dans cette vallée, jadis si paisible, amena une scission entre ses habitants. Plusieurs d’entre eux, notamment les gens de Saint-Pierre et de Maxey, cruellement atteints par les derniers ravages, s’effrayaient en songeant que ces désastres pouvaient se renouveler ; ils voulaient sortir de leur neutralité, se donner aux Anglais, croyant sauvegarder ainsi leurs biens et leurs personnes. Ceux-là formèrent dans la vallée le parti anglais ou bourguignon ; d’autres, au contraire, encore plus indignés, plus irrités, qu’effrayés, voulaient résister aux Anglais. Comptant (pauvres bonnes gens !) sur l’appui du roi de France, leur suzerain, « il ne les laisserait pas, pensaient-ils, plus longtemps exposés à de si grandes misères. » Ces derniers composaient le parti armagnac ou royaliste. Les enfants, toujours imitateurs de leurs parents, se divisaient aussi en Armagnacs et en Bourguignons lorsqu’ils jouaient à la bataille ; les deux partis, dans ces jeux, finissaient toujours par prendre leur rôle au sérieux ; alors les gourmades, les coups de pierre ou de bâton échangés entre les deux armées se rapprochaient fort des réalités de la guerre !

Donc les habitants de Domrémy, appartenant généralement au parti royaliste, et ceux de Saint-Pierre et de Maxey au parti anglais, les enfants de ces diverses localités partageaient l’opinion de leur famille ; aussi arrivait-il souvent que les garçonnets de Maxey, en gardant leur bétail, s’approchaient jusqu’aux limites de la commune de Domrémy, injuriaient les petits pâtres de ce village ; la dispute s’échauffait, l’on s’émeutait et l’on convenait de terminer le différend par les armes, c’est-à-dire à coups de poings, accompagnés de volées de cailloux en guise de traits d’arbalète et de balles d’artillerie[1].




Un jour donc, Jeannette, gardant ses brebis, filait sa quenouille

  1. Procès, t. I., p. 87.