Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 9.djvu/272

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

isambard de la pierre. — C’est aussi le mien.

nicolas loyseleur. — Il me paraît indispensable pour la médecine[1] de l’âme de ladite Jeanne, qu’elle soit torturée… Du reste, je m’en rapporte à l’opinion de mes très-chers frères.


guillaume haiton. — Je trouve la torture inutile.

Il résulte de cette délibération que la majorité des prêtres-juges n’est pas d’avis d’appliquer Jeanne Darc à la torture, beaucoup moins par un sentiment d’humanité que parce que les aveux de l’accusée assurent sa condamnation, ainsi que l’a dit avec une naïveté féroce le chanoine André Marguerie ; néanmoins l’évêque Cauchon que cette torture alléchait, comme l’odeur du sang allèche le loup, semble fort malcontent de l’évangélique mansuétude de ses très-chers frères en Jésus-Christ, assez charitables pour trouver qu’il suffit à la gloire de l’Église de Rome de brûler Jeanne Darc, sans avoir préalablement tenaillé ses membres ou disloqué ses os. Ces cléments ont d’ailleurs songé que, affaiblie, souffrante comme elle l’était, elle pouvait expirer de douleur sur le chevalet des tourmenteurs ; et il faut que le supplice de l’héroïne soit éclatant, solennel, qu’il ait lieu à la face de Dieu et des hommes !

l’évêque cauchon, dissimulant à peine sa méchante humeur. — La majorité de nos très-chers frères se prononçant contre l’application de ladite Jeanne à la torture, et ce moyen d’obtenir de sincères aveux de l’accusée étant écarté, je requiers que, sans désemparer, elle soit amenée ou transportée céans, afin qu’il lui soit donné acte et lecture du réquisitoire lancé contre elle, par notre très-cher frère Maurice, chanoine du très-révéré chapitre de la cathédrale de Rouen.

Les juges-prêtres s’inclinent en manière d’assentiment. Nicolas Loyseleur sort afin d’aller donner l’ordre de transférer Jeanne Darc devant le tribunal, mais il ne reparaît pas durant cette séance, de crainte d’être reconnu par la prisonnière.


  1. Medicina animæ dictæ Joannæ, textuel, T. I, P. 297.