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Matin et soir, je prierai Dieu, ses saintes, et saint Michel archange, de faire arriver bientôt la prophétie de Merlin. Enfin les Anglais seraient chassés de France ! notre jeune sire couronné, grâce au courage de la jeune Lorraine d’un bois chesnu venue !… Mais cela se verra-t-il jamais ?

— Merlin l’a dit, mon enfant : Peu importe ce qui arrive… ce qui doit être sera

— Et pourtant, — reprit la bergerette après un moment de réflexion, — une jeune fille chevaucher, batailler, commander à des gens d’armes, comme un capitaine ? est-ce que c’est possible ?…

— Oui, certes. Jadis, mon père a connu, en notre contrée de Bretagne, la femme du comte de Montfort, vaincu et fait prisonnier par le roi de France ; elle s’appelait Jeanne comme toi. Longtemps elle a vaillamment guerroyé sur terre ou sur mer, portant casque et cuirasse ; elle voulait sauver l’héritage de son fils, un enfant de trois ans. Oh ! l’épée ne pesait pas plus au bras de la comtesse Jeanne que la quenouille ne pèse aux mains d’une autre… Elle se battait en lionne défendant son lionceau !

— Quelle femme ! marraine, quelle femme !

— Il y avait bien d’autres guerrières, voilà de cela des cents et des cents ans ! elles venaient des lointains pays du Nord, sur des vaisseaux, assez hardies pour aller, en remontant la Seine, attaquer Paris ; on les appelait les Vierges aux Boucliers. Elles ne craignaient pas les plus braves soldats ; ceux qui voulaient les épouser devaient d’abord les vaincre par les armes !

— Voyez donc !… quelles furieuses !…

— Enfin, dans des temps encore plus anciens, les Bretonnes des Gaules suivaient leurs maris, leurs fils, leurs pères, leurs frères, à la bataille ; elles assistaient aux conseils de guerre ; et souvent elles combattaient jusqu’à la mort !…

— Marraine, est-ce que l’histoire d’Hêna, que vous m’avez racontée une fois, n’est pas une légende de ces anciens temps ?