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mée qui désertent par effroi de la Pucelle[1]. » Mieux que cela… je vais vous donner confidentiellement lecture d’un passage significatif d’une lettre dernièrement adressée par notre régent, le duc de Bedford, au conseil du roi d’Angleterre Henri VI. Écoutez, chanoine, et méditez : (L’évêque lit.) « …… Tout nous a réussi jusqu’au temps du siège d’Orléans ; depuis lors, la main de Dieu a frappé de rudes coups sur les gens de notre armée. La principale cause de ce malheur a été, comme je le crois, la funeste opinion et funeste crainte que nos soldats avaient d’un disciple du démon, d’un limier de l’enfer, appelé la Pucelle, qui a usé de faux enchantements et de sorcerie, lesquels coups et déconfitures ont non-seulement fort diminué le nombre de nos soldats, mais ont abattu en merveilleuse façon le courage de ceux qui nous restent.[2] » (L’évêque remet les parchemins sur la table, et s’adressant à l’autre prêtre, toujours impassible.) En un mot, le charme d’un demi-siècle de victoires est rompu, l’élan est donné aux populations ; et si Charles VII n’eût pas été l’indolence, la lâcheté même ; si le duc de Bedford, en promettant la souveraineté de Poitou à La Trémouille, de grands avantages à l’évêque de Chartres et à Gaucourt, s’ils servaient secrètement et faisaient (ce qu’ils font) prévaloir les intérêts de l’Angleterre au sein du conseil royal ; enfin sans la prise de la Pucelle à Compiègne, la France redevenait… française ! cinquante ans de luttes, de succès, seraient perdus, et Henri VI ne ceindrait plus les deux plus belles couronnes du monde… Mais il ne faut point s’abuser, Henri VI n’est plus roi de France que de nom… les provinces qu’il possède encore au cœur de la Gaule sont au moment de lui échapper. Les victoires de cette endiablée… j’insiste là-dessus… ont partout réveillé le sentiment patriotique, si longtemps endormi ; partout l’espoir renaît ; on a honte de ce qu’on appelle le joug de l’étranger, on le maudit ; le pouvoir de l’Angleterre sur ce pays-ci est grandement compromis…

  1. Rymer., t. X. p. 472, ap. Quicherat.
  2. Ibid., p. 408.