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courut aux armes, et soutenu par le voisinage des troupes royales, renversa l’échevinage bourguignon, élut d’autres magistrats municipaux, et se mit en mesure d’attaquer les Anglais, retranchés dans une forteresse dominant la ville ; ceux-ci, effrayés de l’attitude menaçante de la population, abandonnèrent la citadelle pendant la nuit et gagnèrent la campagne. Les nouveaux échevins demandèrent une entrevue à Jeanne ; ils subirent à leur tour l’irrésistible charme de sa beauté, de sa douceur, de sa patriotique éloquence. Assurés par elle que nul des citoyens ne serait inquiété au sujet de ses actes passés, ces magistrats remirent les clés de la ville à la Pucelle, qui les porta au roi, ainsi rentré en possession de l’une des cités les plus considérables de son empire. Sa marche continua triomphale jusqu’à Reims, grâce à la merveilleuse influence de Jeanne. À Châlons, elle éprouva une surprise délicieuse à son cœur : elle rencontra quatre paysans de Domrémy. Instruits par le bruit public qu’elle devait traverser la Champagne, ils s’étaient bravement mis en chemin pour la voir à son passage ; parmi eux se trouvait Urbain, le garçonnet, jadis général de l’armée enfantine, qui dut à l’impétueuse bravoure de Jeannette sa fameuse victoire remportée sur les bambins de Maxey. Ces souvenirs et tant d’autres remémorances du village furent échangés entre l’héroïne et les compagnons de son enfance. Durant ce touchant entretien, quelques paroles d’un sinistre augure échappèrent à Jeanne ; Urbain lui demandait ingénument comment elle avait la force, le courage d’affronter les périls du combat ; elle sourit amèrement, resta quelques instants pensive, attristée, puis, révélant ainsi de funestes pressentiments, éveillés en elle par les machinations ténébreuses des chefs de guerre dont elle avait déjà failli être victime, elle répondit à Urbain :

Je ne crains riensinon… la trahison[1] !…

Ah ! pauvre fille de Domrémy ! tes appréhensions ne te trompaient pas ; mais avant de gravir ton calvaire jusqu’à sa cime et d’y trouver

  1. Déposition de Girardin d’Épinal, Procès, t. II, p. 421 ; ap. Quicherat.