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qu’elle ne voulait verser le sang français, priant, suppliant ceux qui l’écoutaient de renier la domination anglaise, si honteuse, si fatale au pays, de reconnaître le pouvoir de Charles VII, sinon par royalisme, du moins par haine de l’étranger, par amour pour la patrie depuis tant d’années saignante, déshonorée sous un joug affreux ; la céleste beauté de l’héroïne, son émotion, sa voix douce et vibrante, l’immense retentissement de ses victoires, le charme irrésistible de cette nature virginale et guerrière, opéraient des prodiges. Le vieux sang gaulois, depuis si longtemps refroidi, bouillonnait dans les veines des moins vaillants à ces cris d’affranchissement et de patrie jetés par cette jeune fille de dix-sept ans, dont l’épée avait déjà gagné tant de batailles : les barrières des villes tombaient à sa voix. Le royal couard, ébahi, et surtout ravi de ne courir aucun risque, entrait triomphant dans ses bonnes villes, aux acclamations des habitants, qui de fait acclamaient la Pucelle. Cependant, un jour il eut grand’peur : une forte garnison anglaise occupait la ville de Troyes, son échevinage appartenait au parti bourguignon exalté ; les portes furent barricadées, les remparts occupés, les canons tirèrent sur les éclaireurs de l’armée royale. Le Charles VII, suant l’effroi dans son harnais de guerre, parlait déjà de jouer des éperons ; Jeanne à grand’peine le retint, s’avança seule aux barrières, demandant de parlementer avec les échevins. Les chefs anglais lui répandirent par des injures accompagnées d’une volée de trait ; le soldat qui portait la bannière de l’héroïne fut tué à ses pieds. Quelques citoyens de Troyes, appartenant au parti français, postés aux barrières, entendirent Jeanne offrir de parlementer ; ils répandirent ce bruit parmi les habitants, depuis longtemps fatigués, irrités de la domination étrangère, mais contenus par ses soldats ou par des échevins forcenés Bourguignons. Une agitation croissante se manifesta dans la cité ; quelques compagnies anglaises tentèrent une sortie contre l’avant-garde commandée par Jeanne, elles furent ramenées battues. Encouragé par leur défaite, le parti français, nombreux à Troyes,