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cacher au roi le mépris qu’il lui inspirait, de ne voir en lui que l’instrument du salut de la Gaule ; elle revint à la cour. La disparition de la Pucelle avait jeté l’inquiétude, l’alarme chez ceux-là (ils étaient nombreux) qui, de tous leurs vœux, hâtaient le terme de la domination anglaise ; le projet de Jeanne : faire sacrer le roi à Reims, ébruité par les conseillers, dans l’espoir d’en faire ressortir l’absurdité, avait au contraire rencontré une foule de partisans frappés de la grandeur politique, de l’heureuse audace de cette résolution. Le retour de la Pucelle fut regardé comme providentiel ; le cri public devint si puissant, que le royal couard, après avoir encore hésité, tergiversé, renâclé, reculé, tant il redoutait la fatigue et le péril, se résigna enfin à partir à la tête de ses troupes, incessamment grossies par la victorieuse renommée de la Pucelle, et se mit en route pour Reims.

Ce voyage développa sous un jour tout nouveau le génie de l’héroïne : d’une énergie, d’une intrépidité sans égale, dans ses batailles acharnées contre l’ennemi séculaire des Gaules, elle se montra douée d’une ineffable puissance de persuasion lorsqu’elle entreprit d’amener sans combat les villes du parti anglais ou bourguignon à redevenir Françaises en ouvrant leurs portes devant Charles VII, de qui d’ailleurs elle avait obtenu, non sans peine, la promesse écrite d’accorder une amnistie absolue aux cités jusqu’alors dissidentes. Jeanne, dans sa sainte horreur de verser le sang français, sut, sans tirer l’épée, reconquérir au roi toutes les places fortes situées sur le chemin qu’il parcourut pour se rendre à Reims ; elle trouva dans son âme, dans son insurmontable aversion de la guerre civile, dans son patriotisme sublime, des trésors d’éloquence native et touchante, qui, jointe à sa prodigieuse renommée, déjà si populaire, pénétraient tous les esprits, désarmaient tous les bras, et gagnaient tous les cœurs à la cause de ce misérable prince, qu’elle protégeait, qu’elle couvrait de l’éclat de sa gloire plébéienne, et qu’elle faisait aimer en parlant en son nom !

Lorsque l’armée royale arrivait devant une place forte, Jeanne s’approchait seule des barrières, son étendard à la main, jurant Dieu