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faites récentes, voulaient les venger à tout prix. Cette journée suprême allait décider du sort d’Orléans, peut-être de la puissance anglaise en Gaule ; il fallait, par une éclatante victoire, relever le moral des troupes découragées. Les chefs, rassemblant leurs soldats d’élite, vainqueurs dans vingt batailles, leur rappellent leurs succès passés, surexcitent leur orgueil national, raniment leur ardeur martiale ! et parviennent à effacer encore une fois de l’esprit de leurs hommes la terreur superstitieuse dont les a frappés la Pucelle. Les Français éprouvent une résistance furieuse, acharnée ; trois fois ils montent à l’assaut, trois fois ils sont repoussés, les échelles culbutées, rompues sous le poids de ceux qui les gravissent ; une grêle de balles, de traits, de carreaux, de viretons, crible les Français, le fond des fossés se pave de morts, de mourants. Maître Jean, la brèche ouverte, était parvenu à rejoindre la Pucelle au moment où elle s’élançait sur une échelle que des intrépides appliquaient pour la quatrième fois au pied d’une tour élevée ; maître Jean suit la guerrière, elle avait déjà gravi quelques échelons, lorsqu’elle est frappée au défaut de son gorgerin et de sa cuirasse par un vireton, long trait acéré, lancé par une baliste avec une telle force, que, traversant le part en part l’armure de la Pucelle, il entre à la naissance de son sein, ressort à demi vers la partie inférieure de son épaule, et reste engagé dans cette profonde blessure[1]. L’héroïne, renversée en arrière par la violence du coup, tombe dans les bras du canonnier, qui montait derrière elle ; il parvient, à l’aide de quelques miliciens, à la transporter défaillante en dehors du fossé. Elle est déposée sur le gazon au pied d’un grand arbre, à peu près à l’abri des projectiles ennemis. Devenant très-pâle, elle se sentait, disait-elle, mourir… mais conservait toute sa présence d’esprit et déplorait amèrement l’inertie des capitaines, qui, n’ayant pas attaqué les Tournelles du côté de la ville, compromettaient une victoire cer-

  1. Journal du siége d’Orléans, t. IV, p. 460 ; ap. J. Quicherat.