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ces ribauds invulnérables ? vous laisserez-vous vaincre par une vachère ?… Si elle est sorcière, prenons-la, mort-Dieu ! et brûlons-la… le charme cessera !… Mais pour la prendre, cette p… des Armagnacs, combattons ou mourons en soldats de la vieille Angleterre !…

Cet énergique et grossier langage, l’exemple de l’opiniâtre résolution de leurs chefs, la certitude de l’infériorité numérique des troupes de la Pucelle, le son retentissant des clairons de la garnison de Saint-Privé accourant au secours des Anglais engagés, raniment leur courage, la honte, la colère de la défaite, changent leur panique en une exaltation furieuse. Ils reforment leurs rangs, reprennent l’offensive ; malgré les prodiges de vaillance de leurs adversaires, ils les forcent à leur tour de reculer en désordre. Au milieu de cette lutte acharnée, Jeanne eût été tuée sans le dévouement de maître Jean et d’une vingtaine d’hommes déterminés ; ils lui font, malgré elle, un rempart de leurs corps, voulant préserver sa vie, si chère, si précieuse à tous. Ils défendent le terrain pied à pied, à chaque instant cette poignée de braves s’éclaircit ; une centaine des leurs, combattant à l’aile gauche refluent, écrasés par le nombre. Dans ce mouvement de retraite et de confusion, Jeanne est entraînée malgré elle vers le rivage de la Loire, quelques voix éperdues crient déjà :

— Aux bateaux !… sauve qui peut !… Aux bateaux !…

Les Anglais, triomphants, poursuivent la Pucelle de leurs huées, de leurs injures accoutumées :

— Ribaude ! vachère ! paillarde !

— Nous allons te prendre et te brûler, sorcière !

La panique cette fois a gagné les rangs des Français. Ils se débandent, fuient en plein désarroi vers la Loire ; la Pucelle s’efforce en vain de les rallier. Soudain, cédant à une inspiration de son génie, au lieu de résister au courant qui l’emporte, elle le devance, gagne de vitesse les plus agiles des fuyards, en agitant son étendard ; ils la suivent, se joignent à elle, et ainsi forcément se reforment à peu près en ordre. Les huées, les imprécations méprisantes des Anglais re-