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— Hardi ! en avant ! Dieu est avec nous !

Ces mots, accompagnés d’un geste héroïque, la sublime expression des beaux traits de la guerrière, entraînent les soldats sur ses pas, tous les cœurs sont embrasés de patriotisme qui l’enflamme ; ces hommes ne sont plus eux, mais elle-même ! toutes les volontés semblent concentrées dans une seule volonté, la sienne ! toutes les âmes fondues en une seule, la sienne ! Et comme la sienne, en cette heure suprême, elles atteignent à ce superbe dédain de la mort dont étaient transportés les Gaulois nos pères lorsque, demi-nus, ils s’élançaient sur les légions romaines bardées de fer, les terrifiant, les ébranlant par leur seule outre-vaillance. Il en est d’abord ainsi de l’attaque intrépide de la vierge des Gaules : loin de céder au nombre, selon l’espoir des Anglais, elle fond sur eux à la tête de sa troupe ; stupéfaits, épouvantés de tant d’audace, ils l’attribuent à des sorcelleries. Il fallait, pensaient-ils, que la Pucelle et les siens se sentissent invulnérables ou protégés par une puissance surhumaine, diabolique, pour faire preuve d’un courage dont la témérité touchait à la folie. Tel fut l’empire de cette superstitieuse impression sur les soldats d’Angleterre, qu’au lieu d’affronter avec leur bravoure habituelle le choc impétueux de la guerrière, ils mollissent, se rompent, ouvrent leurs rangs, malgré les ordres, les menaces, les imprécations, les efforts désespérés de leurs capitaines ; une large trouée est faite au centre de l’ennemi. Ce premier succès exalte les gens d’Orléans jusqu’au délire de l’héroïsme, ils font rage à coups d’épées, de piques, de masses d’armes ; la trouée s’élargit, sanglante, profonde, le blanc étendard de la Pucelle avance… le rouge étendard de Saint-Georges recule… Les bras des Anglais, pendant un moment paralysés comme leur valeur, frappent des coups incertains ; quelques Français seulement sont tués ou blessés, mais enfin leur sang coule. Le comte de Suffolk, qui se comportait intrépidement, s’écrie en montrant à ses hommes, égarés par la panique, son épée rougie :

— Voyez ce sang, misérables lâches !… croyez-vous maintenant