Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 9.djvu/150

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

longuement et à loisir les abords de ces ouvrages, méditant son plan d’attaque, ses habits de femme n’inspiraient aucune défiance aux sentinelles anglaises ; ces divers renseignements pris d’un coup d’œil intelligent et sûr, elle regagna son batelet, rentra chez maître Boucher, si bien encapée dans sa mante qu’elle put échapper à tous les yeux. Elle revêtit ses habits d’homme afin de se rendre à la grand’messe, où elle communia. Les acclamations enthousiastes qui éclataient sur son passage à sa sortie de l’église, lui prouvant qu’elle pouvait fermement compter sur l’appui du bon peuple d’Orléans, elle rentra chez maître Jacques Boucher, où étaient convoqués les chefs de guerre et les échevins. Le conseil se réunit, mais Jeanne n’y fut pas tout d’abord mandée.

À ce conseil assistaient les magistrats de la cité, ainsi que Xaintrailles, Dunois, les maréchaux de Retz et de Saint-Sever, le sire de Graville, Ambroise de Loré, Lahire et autres chevaliers. Le sire de Gaucourt présidait l’assemblée en sa qualité de capitaine royal[1]. La précédente victoire de la Pucelle, victoire où plusieurs de ceux des capitaines qui lui étaient le moins hostiles avaient joué un rôle secondaire, leur inspirait une secrète et amère envie ; d’abord ils avaient compté se servir de cette fille des champs comme de l’instrument passif de leurs volontés, utiliser à leur profit son influence et commander par sa voix ; il n’en allait point ainsi. Forcés de reconnaître, surtout depuis le combat de la veille, que Jeanne les primait dans le métier des armes, jaloux de la voir vaincre un ennemi jusqu’alors invincible, irrités de cette irréparable atteinte à leur renommée militaire, persuadés que si sincère que fût le concours qu’ils prêteraient désormais à l’héroïne, les succès seraient reportés, attribués à elle seule, ils s’allièrent à ses ennemis, tacitement, bassement, dans ce conseil, et adoptèrent unanimement pour le lendemain le plan de bataille que voici : 


  1. Jean Chartier, vol. IV, p. 57 ; ap. J. Quicherat.