Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 9.djvu/139

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de ce songe la réveille, le bruit sourd de quelques détonations lointaines d’artillerie la fait bondir sur son lit ; son rêve ne la trompait pas, l’on commençait l’attaque de la redoute[1]. Le sire de Gaucourt, chargé d’avertir la Pucelle de l’heure du combat, ne l’avait point, à perfide dessein, instruite du départ des troupes ; elle court à la fenêtre, l’ouvre, voit le petit page Imerguet tenant son cheval en bride et causant sur le seuil de la porte avec dame Boucher et sa fille. Ni le page, ni l’écuyer de Jeanne n’étaient non plus prévenus de la sortie[2] ; mais ignorant cette circonstance, la guerrière s’écrie, penchée à la fenêtre et s’adressant à Imerguet d’un ton de reproche :

— Ah ! méchant garçon ! on assaille les retranchements sans moi ! Vous ne me disiez pas que le sang français coulait[3]  !… — Et elle ajoute : — Madeleine, venez en hâte, je vous prie, m’aider à lacer ma cuirasse.

À cet appel, Madeleine et sa mère remontent précipitamment auprès de Jeanne. Elle s’arme complétement, descend dans la rue, s’élance sur le cheval de son page ; mais s’apercevant qu’elle a oublié sa bannière auprès de son lit, où elle la plaçait toujours, elle dit à Imerguet :

— Vite, mon étendard ! allez le chercher dans ma chambre ; vous me le donnerez par la fenêtre, afin de perdre moins de temps[4].

Le page se hâte d’obéir, tandis que dame Boucher et sa fille adressent à la Pucelle de navrants adieux. Elle se dresse debout sur ses étriers, reçoit des mains d’Imerguet l’étendard, qu’il lui remet à travers la croisée du premier étage ; puis, enfonçant ses éperons dans le ventre de son cheval, la guerrière fait de la main un signe affectueux à Madeleine et part avec une telle rapidité que les étincelles jaillissent des pavés sous les fers de sa monture[5].

Le sire de Gaucourt, en cachant à Jeanne l’heure de l’assaut, afin de l’empêcher de s’y trouver, espérait ainsi la perdre dans l’esprit

  1. Procès de révis., t, III, p. 69 à 70.
  2. Ibid.
  3. Ibid.
  4. Ibid.
  5. Ibid.