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quelle devait défiler le funèbre cortége, après avoir traversé la rue Saint-Denis. Guillaume Caillet, frappé de l’empressement des Parisiens à se trouver sur le passage de cet enterrement, qui semblait un deuil public, suivit la foule, dont l’affluence devint bientôt considérable ; le hasard le plaça près d’un écolier de l’Université de Paris. Ce jeune homme, âgé de vingt-cinq ans environ, se nommait Rufin-Brise-Pot, surnom justifié de reste par la mine joviale et tapageuse de ce grand garçon, coiffé d’un mauvais chaperon de feutre devenu fauve de vétusté, habillé d’un surcot noir non moins rapiécé que ses chausses, et aussi dépenaillé que le fut jamais écolier de Paris. Guillaume, longtemps retenu par sa timidité rustique, n’avait osé adresser la parole à Rufin-Brise-Pot ; et cependant quelques propos tenus autour de lui dans la foule et par l’écolier lui-même augmentaient pour plusieurs motifs la curiosité du paysan ; telles étaient ces paroles :

— Pauvre Perrin Macé ! — disait un Parisien, — avoir eu le poing coupé et avoir été ensuite pendu sans jugement, de par le bon plaisir du régent et de ses courtisans !

— Voilà comment la cour respecte la fameuse ordonnance de notre ami Marcel !

— Oh ! cette noblesse !… c’est la peste et la ruine du pays !

— Les nobles ! — s’écria Rufin-Brise-Pot, — ce sont des chevaux de parade houssés, empanachés, bons à piaffer, sans rien porter ni tirer ; mais s’agit-il de donner un coup de collier, ils renâclent et reculent lâchement !

— Pourtant, messire écolier, — se hasarda de dire un gros homme à chaperon fourré, — la noble chevalerie est digne de nos respects à nous, bourgeois ?

— La chevalerie, — s’écria Rufin avec un éclat de rire méprisant, — la chevalerie ne sert qu’à tournoyer dans les tournois par le seul appât du gain, puisque le cheval et les armes du vaincu appartiennent au vainqueur ! Par Jupiter ! ces vaillants joutent à renverser leurs