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prophétie de ce misérable vilain me fait frissonner malgré moi…

— Quelle faiblesse, Conrad, deviens-tu fou ?

— Tout en ce jour est pour moi de mauvais augure !

— Que veux-tu dire ? — reprit Gérard en suivant son ami qui s’éloignait d’un pas précipité. — Que parles-tu de mauvais augure ?

— Ce soir, Gloriande, avant de retourner à Chivry, m’a dit : — « Conrad, nous serons demain fiancés dans la chapelle du château de mon père ; je veux que le soir même vous partiez pour aller guerroyer avec le roi ; mais je ne serai votre femme que si, au retour de la bataille, vous ramenez à mes pieds, comme gage de votre valeur, dix Anglais enchaînés faits prisonniers par vous. »

— Au diable la folle ! — s’écria Gérard, — les romans de chevalerie lui ont tourné la tête !

« — Je veux, — ajouta Gloriande, — que mon époux soit illustre par ses prouesses. Aussi, Conrad, demain je jurerai sur l’autel de finir mes jours dans un monastère, si vous êtes tué à la bataille ou si vous manquez aux promesses que j’exige de vous ! »

— Mais, ventre-Dieu ! encore une fois, cette fille est folle avec ses dix Anglais enchaînés ! Puis il n’y a que des coups à gagner à la guerre, et ta fiancée risque de te voir revenir borgne, boiteux ou manchot… si tu reviens…

— Il me faut céder au désir de Gloriande, il n’est pas de caractère plus opiniâtre que le sien ; d’ailleurs elle m’aime autant que je l’aime ; ses biens sont considérables ; j’ai dissipé une partie des miens à la cour du roi Jean ; je ne peux donc renoncer à ce mariage, et, quoi qu’il m’en coûte, j’irai rejoindre l’armée avec mes hommes !

— Soit ! mais alors bats-toi… très-prudemment et très-modérément.

— C’est mon intention ; je tiens fort à vivre afin d’épouser Gloriande… pourvu que pendant mon absence la prédiction de ce misérable vassal…

— Ah ! ah ! ah ! — reprit Gérard de Chaumontel éclatant de rire