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tholique semble professer une dévotion particulière ; ses deux parrains, à cheval comme lui, chevauchent à ses côtés. Ils font, ainsi que lui, le tour des barrières, tandis que la belle Gloriande dit à son père d’un ton dédaigneux : — Quelle honte pour la noblesse de voir un chevalier réduit, pour prouver son innocence, à combattre un vil manant !

— Ah ! ma fille, dans quel temps vivons-nous ! — reprit le vieux seigneur en grommelant, — ces damnés légistes royaux mettent leurs griffes sur tous nos droits, sous l’impertinent prétexte de les légaliser. N’a-t-il point fallu un arrêt de la sénéchaussée de Beauvoisis pour autoriser notre ami Conrad à user de son droit seigneurial sur cette misérable vilaine révoltée… qui… — Mais, se rappelant que sa fille était fiancée au sire de Nointel, le comte de Chivry s’arrêta court. Gloriande devina la cause de la réticence de son père et lui dit avec une hauteur presque courroucée : — Me croyez-vous jalouse d’une pareille espèce ? une serve !

— Non, non, je ne te fais point cette injure, ma fille… mais enfin la rébellion de cette vassale contre son seigneur est chose aussi nouvelle que monstrueuse. Ah ! je l’ai dit souvent : l’esprit de révolte de ces pestes de communes populacières, quoiqu’en partie détruites aujourd’hui au profit des rois, s’est propagé jusque dans nos domaines et a infecté nos paysans, et voilà que, par surcroît, la royauté porte une nouvelle atteinte à nos droits en prétendant qu’ils doivent être sanctionnés par les légistes.

— Mais, mon père, ces droits nous restent.

— Corbleu ! ma fille… nos priviléges ont-ils donc besoin de la confirmation des gens de robe ? Notre race ne tient-elle pas ses droits seigneuriaux de l’épée conquérante de nos aïeux ? Non, non, la royauté veut tout tirer à elle et sucer seule le populaire jusqu’à la moelle des os.

— Les rois, — dit un autre chevalier, — ne nous ont-ils pas enlevé un de nos meilleurs profits, la fabrication des monnaies dans nos