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que les objets eux-mêmes ; il appréciait très-bien sa situation et savait redresser ses premiers jugements.

» Un visionnaire célèbre, Nicolaï, fut sujet à ces phénomènes ensuite de l’omission d’une saignée et d’une application de sangsues dont il avait contracté presque chaque mois l’habitude. Tout à coup, après une vive émotion, il aperçut devant lui la figure d’une personne morte ; et le même jour il passa devant ses yeux diverses autres figures, ce qui se répéta les jours suivants. Les fantômes se montraient le jour comme la nuit et revêtus de couleurs, mais plus pâles que ceux des objets naturels ; au bout de quelques jours, ces fantômes commencèrent aussi à parler.

» Un cas fort rare est celui où un individu parfaitement sain de corps et d’esprit a la faculté, en fermant les yeux, d’apercevoir réellement les objets qu’il lui convient de voir. L’histoire moderne cite un petit nombre de ces phénomènes, entre autres l’illustre Goëthe et Cardan.

» Goëthe dit : — Lorsque, en fermant les yeux et baissant la tête, je me figure voir une fleur, cette fleur ne conserve pas un seul instant sa forme première ; elle se décompose aussitôt, et de son intérieur naissent d’autres fleurs à pétales colorés ou parfois verts, figures fantastiques, régulières cependant comme les rosaces des sculpteurs.

» J’ai eu, en 1828, l’occasion de m’entretenir avec Goëthe sur ce sujet, qui avait pour nous deux un égal intérêt. Sachant que, tranquillement assis dans mon lit, les yeux fermés sans dormir, j’apercevais fréquemment des figures que je pouvais très-bien observer, Goëthe était fort curieux d’apprendre ce que j’éprouvais alors. Je lui dis que ma volonté n’avait aucune influence sur la production de ces figures, et que jamais je ne distinguais rien de symétrique, rien qui eût le caractère de la végétation ; Goëthe, au contraire, avait la faculté d’établir à volonté le thème, qui se transformait ensuite d’une manière involontaire, mais toujours obéissant aux lois de l’harmonie et de la symétrie. Différence entre lui et moi ; lui qui possédait l’imagination poétique au plus haut degré de développement, tandis que je consacre ma vie à l’étude de la nature et de la réalité. » (Manuel de Physiologie, par J. Mueller, professeur d’anatomie et de physiologie à l’Académie de Berlin, traduit par Littré, membre de l’Institut, etc., etc., v. II, p. 547 à 549. — 1851.)

Vous le voyez, chers lecteurs, Goëthe, l’un des plus grands génies des temps modernes, était sujet à de certaines visions, ainsi que l’auteur que nous venons de citer. Ce dernier a connu dans sa longue carrière scientifique des hommes parfaitement sains de corps et d’esprit qui, par suite de la simple omission d’une saignée, ont eu des visions, ont entendu la voix des fantômes ; le souvenir ou la présence