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Beaumont. Mazurec rentra comme garçon chez le nouveau meunier. Chaque dimanche, en venant à la messe, Mazurec s’arrêtait ici pour nous remercier de notre amitié pour lui. Il n’est pas, voyez-vous, de cœur plus reconnaissant que le sien. Maintenant voici la cause de son malheur. Il allait de temps à autre, par ordre du meunier, porter des sacs de farine au village de Cramoisy, à trois lieues d’ici, où le seigneur de Nointel a établi un poste fortifié. Dans ce village (ce pauvre Mazurec m’avait fait sa confidence), il vit plusieurs fois, assise devant la porte de sa cabane, une jeune fille très-belle, filant à son rouet ; d’autres fois il la rencontra faisant paître sa vache le long des chemins verts. Cette jeune fille, on l’appelait, au village, Aveline-qui-jamais-n’a-menti.

— Et ces deux enfants s’aimèrent ?…

— Oh ! oui ! passionnément. Ils se convenaient si bien ! pauvres chères âmes !

Guillaume Caillet écoutait les paroles d’Alison avec un redoublement d’attention, et n’ayant pu retenir une larme qui coula sur ses joues hâlées, il l’essuya du revers de sa main. La cabaretière continua ainsi :

— Mazurec était serf de la même seigneurie qu’Aveline et son père. Celui-ci consentait au mariage. Le bailli du sire, en l’absence de son maître, y consentait pareillement. Tout allait donc pour le mieux, et souvent Mazurec me disait les larmes aux yeux : « Ah ! dame Alison, quel dommage que ma bonne mère ne soit pas témoin de mon bonheur !… »

— Et comment tant d’heureuses espérances ont-elles été détruites, chère hôtesse ?

— Vous savez, messire, que les vassaux peuvent, lorsque le seigneur y consent, se racheter du droit infâme dont nous parlions tout à l’heure… Ainsi a fait défunt mon mari, sans quoi je serais restée fille toute ma vie… Le père d’Aveline, pour tout bien, possédait une vache. Il la vendit, aimant mieux se défaire de cette bête nourricière