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mâle dignité de l’homme. Tu dois peut-être tromper mon espoir… je te plains sans t’accuser. Tes qualités sont bien à toi… tes défauts sont ceux de la misère, de l’ignorance et de l’esclavage qui t’accablent depuis des siècles !…

Le prévôt des marchands, après un moment de silence, dit à Mahiet, qui l’écoutait avec respect :

— Résumons-nous : nous pouvons à peine compter maintenant sur l’appui des masses populaires ; Charles de Navarre est un allié douteux ; le régent, un adversaire formidable. Voilà donc au vrai l’état des choses ; n’est-ce pas ton avis ?

— Malheureusement, ces symptômes de défaillance du peuple, entretenue, augmentée par les manœuvres des affidés du régent, m’avaient aussi frappé depuis quelques jours, maître Marcel. Faut-il donc renoncer à tout espoir ?

— Non, non ! j’ai voulu établir combien notre position était critique, mais tout n’est pas perdu… Le peuple, en vertu même de sa mobilité, est capable de soudains revirements ; une fraction notable de la bourgeoisie, fermement résolue de mener notre œuvre à bonne fin selon notre devise, ira avec nous jusqu’au bout, quels que soient les dangers qui menacent sa vie, ses biens en cas d’échec… Nous pouvons encore réagir sur la population, la surexciter, l’arracher à sa fatale désespérance, aux suggestions de ses ennemis, prendre contre eux des mesures terribles et engager une lutte décisive contre le régent ; mais la Jacquerie est anéantie, et il serait insensé d’entreprendre cette lutte sans l’appui des forces de Charles-le-Mauvais. Voici donc la dernière chance qui nous reste : je mettrai cette nuit même (j’en ai le moyen), je mettrai cette nuit même ce prince en demeure de se déclarer contre le régent, de se compromettre enfin assez ouvertement pour qu’il se trouve dans l’alternative de vaincre avec nous et de régner… ou de perdre ses domaines et la vie si le régent est vainqueur. Ces propositions acceptées, Charles-le-Mauvais, ainsi résolu de jouer sa tête contre une couronne, entre alors à Paris