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cieux. Quoi ! vous manquiez d’avocat ! Le ciel… vous l’avez dit, le ciel vous en envoie un… il ne demande qu’à faire rage contre votre larron, et vous ne vous déridez point ?

— C’est vrai, je devrais être contente, et pourtant j’ai encore le cœur gros.

— Auriez-vous un autre procès, ou un amoureux infidèle ?

Alison resta un moment silencieuse et triste, puis reprit :

— Messire avocat, vous venez de Paris, vous êtes très-savant ; vous pourriez peut-être rendre service à un pauvre garçon très à plaindre qui doit aussi combattre aujourd’hui dans un duel judiciaire.

— Que voulez-vous dire ?

— En ce pays de Nointel, lorsqu’une jeune fille serve, vilaine ou bourgeoise se marie, le seigneur, lorsque cela lui plaît, a droit à… la première nuit de noces de sa vassale. N’allez point rire au moins.

— Rire ! non, par le diable ! — répondit Mahiet de qui les traits s’assombrirent soudain. Ah ! vous me rappelez une lugubre histoire. — Il y a peu de temps, j’allais plaider une affaire en champ clos près d’Amiens. Je traversais un village ; je vois un rassemblement de serfs. Je m’informe et j’apprends ceci : L’un de ces paysans, serf bûcheron d’un fief de l’évêché, s’était, le matin même, marié à une jolie fille de la paroisse. L’évêque, selon son droit, envoie chercher l’épousée pour la mettre en son lit. Le serf répond au bailli épiscopal chargé de cette mission : « Ma femme est dans ma hutte, je vas vous l’amener. » Puis, revenant au bout d’un instant, il dit : « Ma femme est un peu honteuse, elle n’ose venir ; allez la chercher vous-même. » Et le serf disparaît. Le bailli entre dans la hutte, et qu’y voit-il ? La malheureuse créature gisant dans une mare de sang.

— Grand Dieu !

— Son mari, pour la soustraire au déshonneur, l’avait tuée d’un coup de hache.

À ces mots, Guillaume Caillet, jusqu’alors indifférent à ce récit, tressaillit, releva son visage farouche et écouta, tandis qu’Alison s’é-