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pour pardonner aux Parisiens leur longue rébellion ? Huit cent mille écus d’or destinés à la rançon du roi Jean, et la tête des chefs de la révolte, ainsi que celle de ses principaux partisans ? Ne vaut-il pas mieux, au prix d’un peu de honte, d’un peu d’or, d’un peu de sang, acheter la paix de la cité ? »

— Grand Dieu ! — s’écria Denise pâle et tremblante, — ces chefs des révoltés dont le régent demande la mort, c’est…

— C’est Marcel… ce sont mes fils… ce sont nos meilleurs amis… tous gens de bien, tous dévoués au bonheur public, tous adversaires de l’oppression et de l’iniquité… tous ennemis acharnés des Anglais, qui, depuis la bataille de Poitiers, perdue par la lâcheté de la noblesse, ravagent notre malheureux pays, et qui, sans les nouvelles fortifications élevées si rapidement par les soins de Marcel, eussent dix fois mis Paris à feu et à sang ! Mais aujourd’hui, tant de services rendus à la cité sont oubliés ; on oublie aussi que, sans la réforme imposée au régent par Marcel afin de mettre un terme aux violences, aux rapines de la cour, il en serait aujourd’hui comme au temps où Perrin Macé était supplicié parce qu’il avait eu l’audace d’exiger l’argent que lui devait un courtisan et, frappé par lui, de défendre sa vie !

— Hélas ! tant l’ingratitude envers maître Marcel est horrible !…

— Son âme est trop grande, son esprit trop juste, pour avoir jamais compté sur la reconnaissance des hommes… Que de fois ne m’a-t-il pas dit : — « Pratiquons le juste et le bien ; ils portent en eux-mêmes notre récompense… » Marcel s’attend à tout ; cependant, pensant que le résultat de mes observations de ce soir pouvait lui être utile, je suis entrée chez la femme de notre ami Simon-le-Paonnier, qui demeure non loin de l’Hôtel de Ville, j’ai écrit à mon mari tout ce que j’avais vu ou entendu. Ma lettre lui a été portée par un homme sûr ; et… — Mais voyant les larmes de Denise, longtemps contenues, inonder son visage, Marguerite ajouta tendrement : — Qu’as-tu, chère Denise ?… Pourquoi ces pleurs ?