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— Va… haut, puissant et redouté seigneur de Nointel ! va… Jacques Bonhomme te pardonne l’outrage qu’il t’a fait ! — répond Mazurec au milieu d’une nouvelle explosion de cris de triomphe et de huées méprisantes poussés par les Jacques.

— L’épée ! l’épée ! — crie Conrad en se redressant livide, effrayant, les mains toujours liées derrière le dos ; et s’adressant à Mahiet : — Tu m’as promis du sang… le tien… ou le mien… mais je veux mourir en voyant du sang…

— Délivrez-le de ses liens, — dit l’Avocat d’armes tenant toujours sous son pied l’épée placée sur le sol et tirant la sienne.

Pendant que les Jacques délient les cordes dont est garrotté le seigneur de Nointel, le chevalier Gérard de Chaumontel fait un pas vers son ami et lui dit :

— Adieu, Conrad… La fureur t’aveugle, tu es affaibli par les fatigues de cette nuit… tu seras tué par cet hercule… champion de son état… mais nous serons vengés.

— Moi ! tué… — s’écrie le sire de Nointel avec un éclat de rire effrayant. — Non, non, c’est moi qui vais tuer ce chien bâtard… tu vas le voir tomber sous mes coups.

— Recommande toujours ton âme à messire saint Jacques, — dit Gérard d’un ton pénétré ; — son invocation est sans égale dans les duels.

— Oh ! j’invoquerai ma haine, — reprend Conrad en secouant ses bras qu’Adam-le-Diable allait débarrasser de leurs derniers liens ; mais Mahiet fait signe à son compagnon de suspendre un moment encore la délivrance du sire de Nointel, et reprend d’une voix forte et recueillie en s’adressant aux révoltés :

— Frères… la vengeance de Jacques Bonhomme est juste… il venge en un jour des siècles d’asservissement, de misère, de douleur, subis par ses pères ; en voulez-vous la preuve ? Voici des faits puisés dans la légende de ma famille ; cette légende est aussi la vôtre… car elle est celle de tous ceux de notre race… Et toi, Conrad