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menti… Elle a été violentée par mon seigneur, ton fiancé ; puis, après des mois de douleur et de désespoir, elle est morte étouffée dans le souterrain du bois de Nointel, au moment de mettre au jour le fils de sa honte… J’aurais le droit et le pouvoir de me venger sur toi ; je ne le ferai pas… Il me semblerait dans tes cris, dans tes larmes, voir les larmes, entendre les cris d’Aveline violentée par son seigneur… C’est elle qui en toi me fait encore pitié… ne crains rien de moi !… » La belle Gloriande a pris mes mains, elle les a baisées en pleurant… elle m’a supplié de la laisser fuir par un passage secret ; j’y ai consenti. Je suis resté dans la chambre songeant à Aveline… jusqu’au moment où l’on a mis le feu au château. Guillaume et Adam ont cru qu’avant de périr comme les autres dans les flammes, la fiancée de mon seigneur avait été forcée par moi… non ! je n’ai pas eu ce courage… La vengeance ne m’aurait pas rendu mon bonheur perdu !…

— Oh ! pauvre frère ! âme tendre ! cœur généreux ! — répond Mahiet, cruellement ému, — toi que la nature avait fait Mazurec-l’Agnelet, et que la férocité de tes maîtres a fait Mazurec-le-loup ! tu étais né pour aimer, non pour haïr… Hélas ! tu dis vrai, la vengeance, si légitime qu’elle soit, la vengeance ne rend pas le bonheur perdu !… La mort dont la loi punit le meurtrier ne rend pas la vie à sa victime ! la mort dont la loi punit le voleur ne rend pas à celui qui a été volé l’argent qu’on lui a dérobé ! mais il faut pourtant que le crime soit puni !… Pendant tant de siècles de servage, de torture, à quelle justice humaine ou divine nos pères ont-ils pu recourir ? à qui pouvaient-ils s’adresser dans leur désespoir ?… Dieu et les hommes étaient sourds !… À cette heure, l’implacable vengeance des Jacques frappe en un jour les descendants de ceux qui, d’âge en âge, ont frappé notre race asservie !… C’est fatal : le mal appelle le mal ! la violence appelle la violence ! le sang appelle le sang !… Qu’il retombe sur ceux qui les premiers l’ont versé ! En ces temps maudits, la clémence serait, pour nos bourreaux, l’impu-