Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 8.djvu/198

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Ah ! — dit Mahiet avec une amertume profonde, — si les cris des Gaulois nos pères, esclaves, serfs ou vassaux, morts martyrs depuis la conquête franque, pouvaient s’entendre à travers les âges… ah ! si les cris de nos mères, écrasées sous le servage, affamées pur la misère, violentées par les seigneurs, pouvaient s’entendre à travers les âges !… cet effroyable concert de malédictions, de hurlements de douleur, de haine et de vengeance, arriverait du fond des siècles jusqu’à nous !…

— Mon frère, — reprend Mazurec-l’Agnelet, sombre et abattu, en hâtant le pas afin de devancer quelque peu Adam-le-Diable et Guillaume Caillet, et de se trouver un moment seul avec Mahiet, — tes paroles me donnent doublement honte de moi-même, maintenant que je sais, par toi, que nous sommes fils du même père… Je l’avoue, cette nuit j’ai été lâche…

— Quand cela ?…

— Lorsque j’ai eu entraîné la fiancée de Conrad dans la chambre nuptiale…

— Explique-toi.

— La porte de la chambre refermée sur nous, la belle Gloriande est tombée à genoux devant moi, les mains jointes, elle a crié grâce ! Ce cri m’a été, malgré moi, au cœur ; je me suis dit : « Ma pauvre Aveline a dû crier ainsi grâce… en suppliant mon seigneur de ne pas la violenter… elle a dû souffrir tout ce qu’en ce moment souffre cette damoiselle… » Cela m’a fait pitié… J’ai pleuré en pensant à Aveline ; j’ai oublié ma haine et ma vengeance… C’est une grande lâcheté, n’est-ce pas, mon frère ?…

— Achève…

— Tu ne me reproches pas ma lâcheté ?

— Achève, frère, achève…

— La belle Gloriande, me voyant pleurer, a redoublé ses supplications ; alors, je lui ai dit : « Dans ma condition de misérable serf, je n’avais qu’une joie au monde, l’amour d’Aveline-qui-jamais-n’a--