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de la maison de Chivry). De temps à autre ces captifs secouent leurs chaînes avec fracas en poussant des gémissements lamentables et prononçant quelques mots en un langage inintelligible et barbare ; derrière eux s’avance Conrad Neroweg, sire et seigneur de Nointel, superbement campé sur son cheval de guerre, sa visière baissée, sa lance au poing, et revêtu d’une splendide armure de bataille. À ses côtés, mais à pied, marche Gérard de Chaumontel, aussi armé de toutes pièces et semblant partager le triomphe de son ami. Les acclamations de la noble assistance accueillent ce cortége, et la belle Gloriande, envermillonnée de surprise, de bonheur et d’amour, car son fiancé lui ramène dix captifs enchaînés, se lève de son siége et, agitant son mouchoir parfumé, s’écrie :

— Gloire au victorieux ! honneur au plus vaillant des preux !

— Gloire au victorieux ! — répète la noble assistance, — honneur au plus vaillant des preux !

Le sire de Nointel, descendant alors de son cheval, que l’un de ses pages emmène hors de la galerie, relève la visière de son casque, et tandis que ses écuyers ordonnent par signe aux prisonniers de s’agenouiller au pied du dais de la damoiselle de Chivry, Conrad lui dit fièrement :

— La dame m’avait ordonné d’aller guerroyer contre l’Anglais, et de lui ramener dix captifs ; le devoir de tout preux chevalier est d’obéir à la reine de ses pensées. Je suis allé guerroyer. Voici les dix captifs anglais, conquis par moi à la bataille de Poitiers. C’est moi, captif du dieu d’amour, qui conduis ces prisonniers enchaînés aux pieds de ma dame qui me tient moi-même enchaîné par le plus doux des servages.

Ces chevaleresques et galantes paroles excitent les transports de l’assemblée ; le sire de Nointel s’incline modestement et reprend :

— Ces captifs appartiennent à ma dame ; qu’elle dispose de leur sort en souveraine !

— Mon vaillant chevalier me prie de décider du sort de ces cap-