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heure assez avancée de la soirée ; je veux mettre à profit sur-le-champ les bonnes résolutions de ce jeune homme. Lui et moi nous travaillerons peut-être une partie de la nuit.

— Pardonnez-moi, bon père, — dit le régent au prévôt des marchands en revenant près de lui ; — nous veillerons fort tard sans doute, et je voulais faire prévenir la reine que je ne la verrai pas de la journée. — Puis, replaçant son bras autour du cou de Marcel, il lui dit en l’emmenant vers son cabinet : — Et maintenant à l’œuvre ! mon bon père, à l’œuvre ! et promptement…

Tous deux, suivis du seigneur de Norville, quittèrent la galerie d’où Mahiet et Rufin sortirent aussi en devisant.

— Après ce que tu viens d’entendre, — disait l’avocat à l’écolier, — peux-tu conserver encore quelques doutes sur la sincérité du régent ?

— Te rappelles-tu, Mahiet, qu’à l’Université nous avions coutume de viser quelque but avec une pierre en nous disant : — « Si ma pierre frappe au but, mon premier désir sera exaucé ! »

— Rufin, — reprit tristement l’avocat d’armes, — depuis qu’en arrivant à Paris j’ai appris la mort de mon père, j’ai perdu ma gaieté. Je te le demande encore, parlons sérieusement.

— Je ne voudrais pas, mon brave Mahiet, blesser ta douleur que je respecte, et pourtant, si étranges que te paraissent mes paroles, et par Jupiter elles sont sincères ! je ne peux te répondre que ceci : Avant-hier, Margot-la-Savourée m’a donné, avec grand renfort de câlines chatteries, rendez-vous ce soir au bord de la rivière, près de la tour du Louvre. Si Margot est fidèle à sa promesse, je croirai le régent fidèle à ses bonnes résolutions.

— Au diable le fou ! — dit Mahiet en haussant les épaules avec impatience, et il sortit de la galerie en précédant Rufin qui se disait d’un air cogitatif : — Décidément, Rufin-Brise-Tête, mon ami, tu deviens fataliste comme un mahométan de Turquie ! Cela est honteux, mais cela est.