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Le soleil est depuis longtemps levé. Le régent, qui, récemment et pour cause, est venu habiter la tour du Louvre, a quitté son lit, placé au fond de sa vaste chambre à solives peintes et dorées, aux tentures magnifiques ; de riches fourrures couvrent le plancher. Quelques favoris ont l’insigne honneur d’assister au lever de ce mièvre et sournois jouvenceau qui règne sur la Gaule. L’un de ces courtisans, le seigneur de Norville, jaloux de l’emploi des serviteurs du prince, s’est agenouillé à ses pieds et lui chausse ses souliers, à longues pointes recourbées ; tandis que le régent, assis au bord de sa couche, la tête baissée, soucieux, pensif et faisant, selon son habitude, tourner ses pouces, se laisse machinalement chausser. Hugues, sire de Conflans, maréchal de Normandie, l’ordonnateur de la mutilation et du supplice de Perrin Macé, s’entretient à voix basse dans l’embrasure d’une fenêtre avec Robert, maréchal de Champagne, autre conseiller du prince. Celui-ci, après avoir pendant quelque temps encore regardé ses pouces tourner, lève la tête, et, de sa voix grêle, appelant le maréchal de Normandie, lui dit : — Hugues, à quelle heure ferme-t-on le barrage de la Seine au-dessous de la poterne qui conduit au bord de la rivière ?

— Sire, le barrage est fermé à la tombée du jour. — Et le maréchal ajouta avec un ricanement sardonique : — C’est l’ordre de Marcel !

— De sorte que, la nuit venue, aucun bateau ne peut sortir de Paris ?

— Non, sire ; la nuit venue, personne ne peut sortir de Paris ni par eau ni par terre ; toujours par ordre de Marcel.

— En ce cas, — reprit le régent sans regarder son interlocuteur et après avoir réfléchi pendant quelques instants, — tu te procureras ce matin un bateau ; tu le feras amarrer sur la rive en dehors du barrage, à peu de distance de la poterne où aboutit le petit escalier de la tour. Toi et Robert, — ajouta le régent en désignant du geste le maréchal de Champagne, — vous vous tiendrez prêts à m’accompagner lorsque la nuit sera venue.