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des campagnes livré sans pitié à la merci des seigneurs ! les femmes violées ! les hommes mis à mort ! Les vassaux, dans leur désespoir, invoquent-ils la justice des hommes, suprême espérance des opprimés ? La justice, par ses arrêts, consacre le droit de viol, consacre le droit de meurtre ! Que voulez-vous qu’ils fassent alors, ces vassaux ? dites ? Et si, poussés à bout par la misère, par la rage, répondant à leurs seigneurs par de terribles représailles, ils se vengent, eux et leurs pères, d’un martyre de tant de siècles, qui oserait les condamner ?

— Personne ! — cria la foule, — personne ne les blâmerait !

— Ne pas les blâmer, est-ce assez ? Ne sont-ils pas nos frères ? ne sont-ils pas, comme nous, fils de notre mère-patrie ? Ah ! longtemps, trop longtemps, par notre criminelle indifférence, nous avons été complices des bourreaux de tant de victimes ! De notre égoïsme nous portons aujourd’hui la peine méritée ! Oui, nous avons cru, nous autres habitants des villes, suffire à dompter les seigneurs et la royauté, à réformer les exécrables abus qui nous écrasent ; voyez ce qui se passe aujourd’hui, sous nos yeux ! Le régent et ses partisans trahissent leurs serments, ruinent nos espérances ; en vain, pour rappeler à ce prince ses promesses sacrées, je lui ai demandé audience sur audience, au nom des États-généraux… les portes du Louvre m’ont été fermées. L’audace du régent est grande ; mais d’où lui vient-elle, cette audace ? le savez-vous ? De ce que notre pouvoir finit aux portes de nos villes, là où commence l’exécrable tyrannie des seigneurs ! Quoi ! ils tiennent dans la servitude et la terreur les trois quarts du peuple de la Gaule, qu’ils pressurent jusqu’à la moelle, jusqu’au sang ! et nous, bonnes gens, nous avons cru que la noblesse ne se liguerait pas avec la royauté pour empêcher l’exécution des lois nouvelles ! Est-ce que ces lois, abolissant d’odieux priviléges, ne tendaient pas à assurer le salut et l’affranchissement du pays tout entier ? est-ce que l’affranchissement du pays ne mettrait pas terme à la domination de ces fainéants couronnés, mitrés et casqués, qui