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— Oui, ce matin, à l’Hôtel de ville, j’ai vu ce digne garçon. Il est en bonne santé, quoiqu’il ait beaucoup souffert.

Il faut renoncer à peindre l’émotion, les douces larmes de Denise. Cette émotion calmée, le prévôt des marchands dit à sa femme et à sa nièce :

— Je présidais ce matin à l’Hôtel de ville notre conseil des échevins, lorsqu’un de nos sergents me remet une lettre : je l’ouvre et je lis que Mahiet demande à m’entretenir. On le fait monter, par mon ordre, dans la chambre où je travaille, et j’y cours aussitôt après notre séance… Ah ! ma pauvre Denise ! je l’avoue, j’ai eu peine à reconnaître notre ami, tant il était changé, maigri…

— Que lui est-il donc arrivé, mon Dieu ? — demanda Denise. — Est-il, ainsi que le craignait ma tante, allé guerroyer contre les Anglais ? Sort-il de prison ?

— Il sort de prison ; mais il n’est point allé à la guerre, — reprit Marcel. — Voici ce qui lui est arrivé : il était, vous le savez, parti pour Nointel en Beauvoisis. Après avoir quitté Nointel dans la nuit et s’être reposé une heure au point du jour à Beaumont-sur-Oise, il se remet en route ; au bout de quelque temps, il entend derrière lui le galop précipité d’un cheval, et il voit venir, fuyant à toute bride, un homme ayant une femme en croupe, poursuivi par trois cavaliers armés qui accouraient au loin. Le couple s’arrête à quelques pas de Mahiet, et l’homme, un jouvenceau de vingt ans au plus, dit à notre ami : « — Nous fuyons le château du sire de Beaumont ; il est le tuteur de ma sœur, qui m’accompagne, et a voulu la violenter. Il accourt sur nos pas avec ses hommes ; vous êtes armé, par pitié, protégez-nous, aidez-moi à détendre ma sœur !… »

— Je connais le cœur et le courage de Mahiet, — dit Denise avec émotion ; — il aura pris la défense de ces malheureux !

— Sans aucune hésitation ; car, « en sa qualité d’avocat, m’a-t-il dit, il ne pouvait refuser une si bonne cause. » Le sire de Beaumont arrive avec ses deux écuyers…