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sante ; il reste un moment épouvanté de la sincérité sauvage des paroles du chef de la croisade. Puis le Parfait s’écrie, avec une douloureuse indignation : — Oh ! prêtres catholiques ! tel est donc votre astuce infernale, que pour assurer le triomphe de votre ambition et de votre cupidité effrénée, vous savez exploiter jusqu’aux sentiments généreux, pour l’accomplissement de vos forfaits !

Montfort. — Qu’oses-tu dire, blasphémateur ?

Karvel. — Ce n’est pas toi que j’accuse, fanatique aveugle et convaincu. Tu le dis et cela est : oui, tu te crois humain ; oui, si tu égorges des enfants, c’est pour les envoyer en paradis… si tu nous extermines, sans merci ni pitié, c’est que dans ta pensée notre croyance damne éternellement les âmes ! Mais quelle religion, grand Dieu ! que cette religion telle que la font les prêtres catholiques ! Prodige inouï, effrayant ! elle bouleverse à ce point dans les âmes les notions du bien et du mal, que toi, et tes complices vous croyez obéir humainement, pieusement, en poussant la férocité au delà des limites du possible !

Alix de Montmorency ayant terminé ses oraisons s’est relevée ; elle entend les dernières paroles de Karvel, s’approche du comte et lui dit avec autant de douleur que d’effroi, en lui désignant le Parfait d’une main tremblante : — Ah ! combien d’âmes ce malheureux endurci peut perdre à jamais…

Montfort, pensif. — J’y songeais… et il n’y a rien à espérer de lui… (À Karvel lentement.) Ainsi, tu persistes dans ton abominable hérésie ?

Karvel. — Écoute, Montfort, à Chasseneuil, à Beziers, à Carcassonne, à Termes, à Minerve, dans tous les lieux enfin où l’armée de la foi… a porté le ravage et le meurtre, des femmes, des jeunes filles, des enfants échappés au massacre et parfois réservés au bûcher, se sont héroïquement précipités dans les flammes plutôt que de reconnaître, même des lèvres, cette Église de Rome, dont le nom seul soulève chez nous le dégoût et l’horreur ; c’est que, vois-tu, Montfort, l’hé-