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l’autre côté de ce siége de verdure, Déliane, chanoinesse du chapitre de Nivelle ; l’un de ses bras familièrement appuyé sur la blanche épaule de Marphise, elle écoute en souriant le graveleux entretien d’Églantine et de la dame d’Ariol. De ces deux jaseuses l’une est d’une beauté superbe, l’autre d’une joliesse charmante ; mais Déliane-la-Chanoinesse est céleste. Rêvez madame sainte Marie, mère de Dieu, aussi divinement belle que vous le pourrez, vêtissez-la d’une longue robe de fine étoffe écarlate bordée d’hermine ; joignez-y un surplis de lin d’un blanc de lis comme la guimpe et le voile qui encadrent la figure idéale de la chanoinesse, noyez ses beaux yeux bruns de cette langueur saintement amoureuse où ils nageaient à la vue du Saint-Esprit, si mignonnement transfiguré lorsqu’il lui apparaissait entr’ouvrant son bec pourpre et agitant ses ailes argentées ; oui, donnez ce charme, voluptueusement angélique, à l’image de Déliane, et vous aurez le portrait de cette incomparable chanoinesse : cela fait, dorez d’un rayon du soleil couchant le groupe de ces trois femmes, et vous reconnaîtrez qu’en ce moment le verger de la dame d’Ariol, rempli de fruits délicieux, ressemblait fort au paradis terrestre, mieux que cela, le primait ; car d’abord, au lieu d’une seule Ève, vous en voyez une douzaine, blondes, brunes ou châtaines ; puis ce rustre d’Adam est absent, et aussi absent est le serpent aux couleurs diaprées, à moins qu’il ne soit là caché, le maudit, sous quelque touffe de roses et de glaïeuls. Vous avez admiré ; maintenant, écoutez :

Marphise. — Je ris encore, Églantine, de cette bonne histoire…

La chanoinesse. — Voyez-vous ce benêt de mari apportant la lumière et trouvant : quoi ?… sa femme tenant un veau par la queue !

Églantine. — Et notre fripon de curé s’était échappé dans l’obscurité ?

Marphise. — Ah ! ce sont de madrés amants que ces curés !

La chanoinesse.. — Je ne sais trop… On les croit plus secrets que d’autres… il n’en est rien…