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Grimsnoth. La vierge-au-bouclier, pâlie par la perte de son sang, mais trop courageuse pour ne pas prendre part, malgré sa blessure, à la prochaine bataille, s’avançait, le front ceint d’un bandeau de lin sous la résille de fer qu’elle portait en guise de casque. Au moment où elle s’apprêtait à monter sur le kastali de Rolf, Gaëlo dit à l’héroïne : — Shigne, la guerre a ses hasards, je peux être tué demain ; sois ma femme ce soir ?

La vierge-au-bouclier rougit, son regard, qui jamais ne s’était abaissé devant celui d’un homme, se baissa devant l’ardent regard de Gaëlo ; elle répondit d’une voix basse et émue : — Gaëlo, tu m’as vaincue... je t’appartiens, j’en suis fière, je ne pouvais appartenir à un homme plus vaillant. Rolf a été pour moi un père, je dois le consulter sur ta demande : s’il dit oui, je dirai oui.

Et sans ajouter une parole, la guerrière précéda Gaëlo sur la plate-forme du kastali où se trouvait le vieux pirate.

— Gaëlo, — dit Rolf, — toi et Shigne vous allez précéder la flotte, faire force de rames et vous rendre à Paris avec vos deux holkers.

— Jamais je ne t’aurai obéi avec tant de joie.

— Vous vous ferez conduire chez le Comte de Paris, et Shigne lui dira ceci : Le roi des Franks a une jolie fille ; Rolf la veut en mariage.

Gaëlo et la guerrière regardèrent le pirate avec étonnement ; il se frotta la barbe, se mit à rire de son gros rire et ajouta : — Je veux tâter d’une fille de race royale, moi !

— Rolf, — reprit Gaëlo, — parles-tu sérieusement ?

— Très-sérieusement. Hier l’un de ces mariniers parisiens, joyeux et hardi garçon, m’a dit en raillant : « Pourquoi n’épouses-tu pas Ghisèle la fille du roi des Franks, en lui demandant pour dot une de ses provinces ? » J’étais ivre, l’idée m’a paru plaisante et j’ai chargé ce marinier de demander pour moi la fille de Karl-le-Sot ; mais la raison m’est revenue, j’ai ruminé le conseil du marinier, il m’a paru bon, si bon... que je t’envoie toi et Shigne, à Paris, comme ambassadeurs ; — puis se reprenant à rire : — On me traite