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toutes couleurs flottaient au vent dont le souffle gonflait les grandes voiles coloriées où se voyaient représentés des animaux fabuleux, dragons ailés, aigles à deux têtes, poissons à têtes de lions et autres monstres (Q). Souvent retentissaient les farouches chants de guerre des North-mans, et comme un écho lointain leur répondaient les cris sauvages et vengeurs de la foule de serfs révoltés ; hâves, déguenillés, redoutables, armés de bâtons, de fourches, de faux, ils côtoyaient la Seine, suivant la lisière de l’épaisse forêt dont les arbres bordaient ses rives, et cette multitude non moins avide que les North-mans de piller les richesses de Paris, réglait sa marche sur celle de la flotte, qui avait déjà laissé derrière elle les eaux que dominent les hautes collines boisées de l’abbaye de Saint-Cloud. Le vent fraîchissait, les North-mans atteignirent enfin une partie du fleuve d’où l’on apercevait au loin dans la brume les tours et les murailles de la cité de Paris enfermée dans son île fortifiée, à la pointe de laquelle s’élevait la cathédrale. Sur le versant des rives de chaque bras de la rivière où commençaient les champs et les faubourgs, l’on voyait aussi les clochers des églises ainsi que les nombreux bâtiments des abbayes de Saint-Germain-d’Auxerre, de Saint-Germain-des-Prés, de Saint-Étienne-des-Grès, et à l’horizon, la haute colline où est bâtie la basilique de Sainte-Geneviève. À l’aspect de cette ville si souvent attaquée, ravagée, pillée, rançonnée depuis un siècle par les hommes de leur race, les North-mans poussèrent des hurlements de triomphe, en criant : — Paris ! Paris ! — clameurs menaçantes que le vent d’ouest, propice aux pirates, dut porter jusqu’à la Cité !

À la tête de la flotte marchait le drekar de Rolf, le roi de la mer ; ce bâtiment se nommait Grimsnoth ; Rolf l’avait enlevé à un autre pirate après un combat meurtrier, selon la saga (le chant) de Gothrek, le Grimsnoth surpassait autant par sa grandeur et par sa beauté les autres drekars des mers du Nord, que Rolf surpassait les autres pirates par sa vaillance ; jamais enfin l’on n’avait vu de navire comparable au Grimsnoth (R). Ce drekar ressemblait à un dragon gigantesque ;