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dément vraies et remplies d’à-propos en présence des prétentions royalistes qui se manifestent de nouveau ; mais nous répéterons après l’illustre historien : — « Le ciel nous est témoin que ce n’est pas nous qui, les premiers, avons évoqué cette vérité sombre et terrible qu’il y a deux camps ennemis sur le sol de la France. » — Non ! que la funeste responsabilité de cet appel au passé retombe sur ceux là qui, dans un pays républicain, ont proclamé, proclament chaque jour que Henri V ne peut rentrer en France que comme roi de cette terre conquise par ses ancêtres ; qu’elle retombe encore, cette responsabilité funeste, sur ceux-là qui ont posé la question catholique entre les fils de Voltaire et les fils des croisés (nous arriverons prochainement à l’époque des croisades, chers lecteurs, et vous les jugerez pièces en mains, ces pieux croisée dont on revendique la descendance.

Non, non, loin de nous ces pensées de haine et de division ; plus que personne nous respectons les convictions de nos adversaires politiques ; plus que personne nous désirons le généreux apaisement d’un antagonisme de race, dont nos pères ont été si cruellement victimes durant quatorze siècles : plus que personne nous appelons de tous nos vœux le jour où ceux que le hasard de la naissance a fait naître princes de ces races royales, où la filiation naturelle des rois de la conquête s’est surtout absolument perpétuée, puissent rentrer en France et y jouir de leurs droits de citoyens de la République française ; mais nous sommes aussi de ceux-là qui, pour le salut, la paix, la dignité, la prospérité, l’avenir du pays, pensent que si les races royales persistent, au nom du droit divin consacré par l’Église catholique, leur complice de tous les temps, à revendiquer le droit de nous régir, droit uniquement né de la conquête, c’est-à-dire de la violence, de la spoliation et du massacre, nous devons opposer à ces prétentions royales le droit et l’action révolutionnaires, grâce auxquels nous, peuple vaincu, nous avons brisé les chaînes de la conquête et le joug de l’Église romaine après quatorze siècles de misère, de honte et d’asservissement.

Voilà, chers lecteurs, ma réponse à la critique dont je vous ai entretenus. Non, je ne veux réveiller aucun antagonisme de races ! En m’efforçant de vous instruire des choses du passé, je n’ai d’autre but que de clairement préciser la position des vainqueurs et des vaincus, des oppresseurs et des opprimés durant les siècles de notre histoire ; que la connaissance de ces temps maudits soit votre enseignement pour l’avenir. Pleurons le martyre de nos pères ; mais redevenus libres et égaux de tous, jamais n’oublions notre devise républicaine : liberté, égalité, fraternité ! Tendons une main fraternelle aux descendants des conquérants ; mais si venait le jour où, dans leur aveuglement, le parti royaliste et le parti prêtre voulaient encore, par le fait seul du rétablissement de la monarchie et de l’omnipotence de l’Église, diviser de nouveau le peuple français en conquérants et en conquis, en vainqueurs et en vaincus, en fils des Gaulois et en fils des Franks, en fils des Croisés et en fils de Voltaire ; oh ! ce jour-là, nous autres, Gaulois, nous autres, fils de Voltaire, souvenons-nous… et aux armes !

EUGÈNE SUË,...............................
Représentant du Peuple....................

Paris, 15 mai 1851.