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curiosité que par pitié, suivi dans l’église la procession mortuaire. Ces gens de guerre, farouches, grossiers, aussi mécréants que les North-mans et les Arabes, s’étaient brutalement frayé passage jusqu’aux abords du chœur, où gisait le corps de l’abbesse, entouré de ses nonnes. Peu touchés du caractère religieux de la cérémonie et de la majesté du saint lieu, ces soldats attachaient leurs regards licencieux sur les filles du Seigneur, dont ils tâchaient de distinguer les traits à travers la transparence de leurs voiles baissés ; agenouillé auprès de l’une d’elles qui, aussi à genoux et le front penché, semblait dévotement prier, Sigefred, chef de ces gens de guerre, osa serrer le coude de la sainte fille ; elle tressaillit, mais resta muette. Enhardi par ce silence, et soulevant doucement le voile qui du sommet de la tête de la nonne tombait jusqu’à sa ceinture, Sigefred eut l’audace de glisser une main profane sous l’échancrure du col de la robe, afin de palper les épaules de la religieuse ; mais à peine eut-il commis cette indignité qu’il retira vivement sa main comme s’il eût touché un charbon ardent, et s’écria stupéfait : — Par le diable ! cette nonne a une peau de fer ! — Sigefred n’ajouta pas une parole ; il tomba la gorge traversée d’un coup de poignard que lui porta la nonne à la peau de fer ; les autres guerriers restèrent un moment pétrifiés en voyant que sous les longues et larges manches de sa robe noire, cette religieuse avait en effet des bras et des mains dont l’épiderme semblait de fer, recouvertes qu’elles étaient d’un souple et fin tissu de mailles d’acier.

— Miracle ! — crièrent quelques-uns des témoins de l’impudique tentative de Sigefred. — Miracle ! le Seigneur défend la pudeur de ses vierges en les couvrant d’une peau de fer !

— Trahison ! — s’écrièrent les guerriers moins crédules en tirant leurs épées. — Ces nonnes sont des soldats habillés en femmes ! Trahison ! Aux armes ! aux armes ! vengeons Sigefred !

— Skoldmoë ! — s’écria tout à coup d’une voix retentissante l’abbesse dont on chantait les funérailles... en se dressant de toute la