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plâtre, à cette fin de les aveugler. Pendant la nuit et une partie de la matinée, les troupeaux des terres de l’abbaye furent amenés dans son enceinte ; là se rendirent aussi par ordre de l’abbé, pour sa défense, grand nombre de serfs et de vilains. D’autres, au contraire, prirent la fuite, résolus de se joindre aux North-mans, lors de leur débarquement, et de glaner après leurs pilleries. Plusieurs hommes francs, ainsi que l’on nomme les libres possesseurs de petits domaines, habitant les environs de Saint-Denis, emportèrent avec eux leurs objets les plus précieux, et vinrent chercher un refuge derrière les murailles de l’abbaye. Les cours, les galeries du cloître s’encombraient ainsi d’heure en heure d’une foule effarée, tandis que des bestiaux de toute sorte se pressaient dans les jardins et dans un vaste préau enclavés dans l’enceinte fortifiée ; l’abbé, aidé de ses chanoines armés de bêches et de pioches, enfouissait en toute hâte, sous le sol d’une petite cour écartée, les innombrables richesses du trésor de l’église, tels que vases, reliquaires, calices, ostensoirs, statues, croix, flambeaux, patères et autres saints ustensiles en argent, en vermeil ou en or massif enrichis de pierreries. Ils enfouissaient aussi de gros sacs remplis de pièces d’or et d’argent, fruit du labeur incessant ou des redevances écrasantes des serfs et des vilains. D’autres prêtres, agenouillés dans la basilique, imploraient en gémissant le secours du ciel et vouaient les North-mans à toutes ses vengeances.

Plus de la moitié du jour se passa dans ces transes continuelles ; les hommes de guet qui veillaient sur le rempart au-dessus de la porte, l’avaient vue fréquemment s’ouvrir pour donner passage à des serfs et à des troupeaux retardataires ou à des chariots remplis de fourrage nécessaire à la nourriture de la grande quantité de bétail et de chevaux alors réunie dans l’enceinte fortifiée. Deux de ces voitures remplies de foin, traînées chacune par quatre bœufs et conduites par un homme à figure sinistre, à peine vêtu de haillons, s’approchèrent des remparts ; à la vue de cet homme bien connu dans l’abbaye, un gros moine pansu, placé au guichet de la porte, s’écria : — Béni