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— Dieu tout-puissant ! cela n’est que trop vrai ! — murmura l’abbé en fondant en larmes. — Cinq fois déjà cette abbaye a été envahie, saccagée, pillée par ces païens : aussi l’a-t-on fortifiée ; mais elle ne saurait résister aux North-mans. Hélas ! hélas ! rien ne résiste à ces démons !

— Fortunat, tu t’abuses. À moins d’un siège en règle, les cent vieux soldats qui vont arriver en ce lieu d’un moment à l’autre, suffiront à défendre l’abbaye. Maintenant, Fultrade, à cheval ! à cheval ! Uh riche évêché récompensera ton zèle.

Le moine avait jusqu’alors écouté le Comte de Paris d’un air soucieux et préoccupé ; mais à la promesse d’un évêché, ses yeux étincelèrent de convoitise, et il répondit à Roth-bert : — Seigneur, si notre saint abbé m’y autorise, j’accomplirai ses ordres et les tiens. Que le ciel me protège ! j’espère conduire à bonne fin l’entreprise dont tu me charges !

L’un des officiers du Comte entra et lui dit : — Selon vos ordres, quelques archers amenés en croupe par nos cavaliers se sont postés sur la rive de la Seine. Ils ont, à la clarté de la lune, aperçu un grand bateau qui remontait la Seine vers Paris. Ils ont forcé les mariniers de descendre à terre, les menaçant, s’ils refusaient d’obéir, de leur envoyer une volée de flèches. On vous amène le patron de cette barque.

— Qu’il vienne, — répondit Roth-bert. Et s’adressant à l’abbé : — J’ai donné l’ordre de ne laisser passer aucun bateau sans interroger ses mariniers, afin d’obtenir d’eux quelques renseignements sur la flotte des pirates, dont ils peuvent avoir des nouvelles !

Le Comte achevait ces mots, lorsqu’un de ses hommes introduisit Eidiol. À la vue du doyen de la corporation des nautonniers, si brutalement traité par lui dans la journée, Roth-bert ne put cacher sa surprise ; puis, ses traits prenant une expression remplie de cordialité, il dit à Eidiol : — Je ne m’attendais pas à te revoir ce soir, mon brave nautonnier. — Et montrant d’un geste le vieillard à l’abbé, le