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— Ma mère, je ne te quitte pas... j’ai peur ! — s’écria la jeune fille ; mais avant qu’elle ait pu rejoindre sa mère, qu’une main vigoureuse attirait brusquement au dehors, la porte se referma sur Anne de plus en plus effrayée ; en vain elle poussa de grands cris, les pas s’éloignèrent ; tout bruit cessa, et de silencieuses ténèbres se répandirent autour d’elle. Cependant, au bout de quelques minutes, elle tressaillit de surprise  ; il lui semblait entendre, au milieu de l’obscurité, le souffle d’une respiration haletante ; soudain la jeune fille se sentit enlacée de deux bras vigoureux ; elle se débattait en appelant sa mère, lorsqu’on frappa violemment à la porte, et une voix prononça d’un ton alarmé quelques paroles en latin. Aussitôt Anne, délivrée de l’étreinte qui l’épouvantait, tomba défaillante sur le sol. Quelqu’un passa près d’elle, sortit en courant, et referma la porte à double tour.




Tandis que Marthe et sa fille venaient d’être séparément enfermées par Fultrade et un autre prêtre, dans les cachots souterrains de l’abbaye de Saint-Denis, où l’on jetait les serfs et les vilains justiciables de l’abbé, un grand mouvement régnait dans le saint lieu. Des moines, subitement arrachés au sommeil, et portant des torches, allaient et venaient sous les arceaux du cloître. Au milieu de l’une des cours intérieures, l’on voyait une vingtaine de cavaliers ; la sueur dont leurs chevaux ruisselaient témoignait de la rapidité de leur course ; ils avaient escorté jusqu’à l’abbaye le Comte de Paris, qui, arrivant de sa cité en toute hâte, s’était aussitôt rendu à l’appartement de Fortunat, abbé de Saint-Denis. Ce prêtre, d’une obésité difforme, les yeux encore bouffis de sommeil, endossait une longue robe du matin, chaudement fourrée, que lui présentait l’un de ses serviteurs ; d’autres allumaient les cierges de deux candélabres d’argent massif, placés sur un meuble richement orné, car rien n’é-