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songeait qu’aux reliques dont la divine influence devait la préserver ainsi que sa fille de tous maux présents et à venir. Anne avait obéi à sa mère avec répugnance ; le moine lui inspirait une vague frayeur, la nuit était noire, la route peu sûre ; lorsque parfois le cheval bronchait, la jeune vierge sentait Fultrade la serrer contre lui plus étroitement, et son souffle embrasé venait la frapper au visage. Arrivé avec ses compagnes de voyage à la porte massive de l’abbaye, le moine frappa d’une façon particulière, la clarté d’une lanterne apparut à un guichet ; il s’ouvrit, le frère portier échangea quelques mots à voix basse avec Fultrade, puis la lumière s’éteignit, la porte massive roula sur ses gonds et se referma lorsque Marthe et sa fille furent entrées dans l’abbaye ; elles se trouvèrent au milieu des ténèbres ; un personnage invisible emmena le cheval du prêtre ; celui-ci, prenant alors le bras de Marthe, lui dit tout bas : — Donne la main à ta fille et suivez-moi toutes deux ; je vous ai prévenues, votre arrivée ici doit être enveloppée du plus grand mystère, venez.

Après avoir descendu un escalier rapide et suivi pendant assez longtemps dans l’ombre les détours d’un couloir voûté, à l’atmosphère humide comme celui d’une cave, le chantre s’arrêta, chercha à tâtons l’orifice de la serrure d’une porte qu’il ouvrit en disant aux deux femmes, toujours à demi-voix : — Entrez là, attendez-moi, chères filles.

Au bout de peu d’instants la porte se rouvrit, et le moine, revenant encore sans lumière, dit : — Marthe, la première, tu adoreras la relique, ce sera ensuite le tour de ta fille.

— Oh ! non ! — s’écria vivement Anne-la-Douce ; — je ne resterai pas seule ici dans l’obscurité !

— Mon enfant, ne crains rien, — reprit Marthe ; — nous sommes dans une sainte abbaye, sous la protection du bon père Fultrade.

— Et d’ailleurs l’on n’est jamais seule lorsque l’on pense à Dieu, — ajouta le moine. — Ta mère sera bientôt de retour. Suis-moi, Marthe.