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— Les yeux me cuisent fort ; suis-je donc dans le céleste Walhalla qu’Odin promet à ses braves après leur mort ?

— Tu es au milieu de tes compagnons de guerre, vaillant champion, — répondit Gaëlo, — tu as brisé une vingtaine de gros arbres et démoli une maison, est-ce assez pour essayer tes forces ?

— Oh ! oh ! — fit le géant en secouant son énorme tête et continuant de se frotter les yeux avec ses poings, — cela ne m’étonne pas d’avoir ainsi ravagé ; j’ai commencé à me sentir berserke en criant : À Saint-Denis ! et puis j’ai cru démolir l’abbaye et assommer ses moines et leurs soldats.

— Ne regrette rien, mon Hercule, — répondit Gaëlo ; — la lune se lève tôt, nous ramerons toute la nuit ; demain soir nous serons à Saint-Denis et après-demain à Paris !




L’abbaye de Saint-Denis ressemblait à un vaste château fort ; son enceinte de hautes et épaisses murailles sans autre entrée qu’une porte voûtée, bardée de plaques de fer, percée, ainsi que les murs, de meurtrières d’où les archers pouvaient à l’abri tirer sur l’ennemi, mettaient le saint lieu à l’abri d’un coup de main ; pour se rendre maître de cette forteresse, il eût fallu de grandes machines de guerre et une nombreuse troupe d’attaque. Tenant sa promesse faite le matin au père Fultrade, Marthe et sa fille Anne-la-Douce se trouvèrent, à la tombée de la nuit, au rendez-vous fixé par le chantre ; il arriva monté sur son grand cheval, assez vigoureux pour porter en croupe la femme d’Eidiol, et sur le devant de la selle, la jeune fille que le prêtre tenait ainsi enlacée ; le cheval chargé de ce triple poids ne pouvait, malgré sa robuste encolure, que suivre au pas l’antique voie romaine qui, allant de Paris à Amiens, passait devant l’abbaye de Saint-Denis ; le trajet nocturne fut long, silencieux ; Marthe, toute fière de se voir en croupe d’un saint homme, ne