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mans avaient pour divinité Odin, dieu du Nord, qui promettait aux vaillants tués à la bataille, le séjour du Walhalla, riante demeure des héros célestes ; mais plus confiants dans leur bravoure que dans l’assistance de leur dieu, ils ne l’invoquaient guère. « —Mon frère d’armes et moi, — disait à ces pirates Gunkator, fameux roi de la mer, qui souvent ravagea les châteaux et les églises de la Gaule, — mon frère d’armes et moi, nous ne sacrifions jamais aux dieux, nous n’avons de foi que dans nos armes et dans nos forces ; nous nous en trouvons très-bien (J). » Plusieurs chefs de ces pirates se prétendaient issus de l’union des Trolls, génies des mers, avec les Ases et les Dwalines, gentilles petites fées qui se plaisent à danser au clair de lune sur la glace des lacs du Nord, ou à se jouer dans les branches des grands sapins couverts de neige.

Gaëlo, qui commandait le holker noir orné à sa proue d’un aigle de mer, n’attribuait pas sa naissance à l’union surnaturelle d’un Troll et d’une Dwaline, mais il disait comme le fameux pirate Gunkator : « —Je ne sacrifie point aux dieux, moi ! Je n’ai de foi que dans mes armes et dans ma force, je m’en trouve très-bien. » — Gaëlo pouvait se fier à sa force, elle égalait son courage, et son courage égalait son adresse ; mais ce qui surpassait son adresse, sa force, son courage, c’était la mâle beauté de ce jeune chef de pirates ; voyez-le plutôt une main appuyée sur son harpon et debout à l’avant de son bateau, couvert de la tête aux pieds de sa souple armure d’écailles de fer. À son côté pendent sa large épée, son cor d’ivoire au son connu de ses pirates ; son casque pointu, presque sans visière, découvre ses traits hâlés par l’air marin, le soleil et le grand air, car Gaëlo, non plus que le héros de la Saga « — n’a jamais dormi sous un toit, ni vidé sa coupe auprès d’un foyer abrité. — » L’on devine à l’intrépidité de son regard, au pli railleur de sa lèvre, qu’il a souvent, de l’aube au soir, dit la messe des lances, parfois taillé sa chemise dans la nappe des autels et parfois encore brûlé l’abbaye après avoir mangé le souper de l’abbé, mais il n’a point tué l’abbé, si celui-ci est