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— Et si ces bonnes gens se plaignaient, — ajouta Perrette-la-Ribaude en riant aux éclats, — nous leur répondions : « Taisez-vous, oisons, Coucou-Piètre a lu dans les saints livres que le bien du pécheur est réservé à l’homme juste ! Ne sommes-nous pas des justes, nous autres qui allons délivrer le saint tombeau, n’êtes-vous pas des pécheurs, vous autres qui restez ici croupis dans votre couardise ? » Et s’ils soufflaient mot, ces oisons, Nargue-Gibet achevait de les convaincre à grands coups de bâton !

Ces saillies de Perrette et de Corentin achevèrent de décider ceux des serfs qui hésitaient encore à partir ; ne voyant dans la route qu’une longue et joyeuse ripaille, bon nombre d’entre eux, et Colas-trousse-Lard à leur tête, s’écrièrent : — Partons, partons pour Jérusalem !

— Allons, en route ! mes compères, n’ayez souci ni du chemin, ni du logis, ni de la nourriture ; le bon Dieu vous prendra sous son aile ! — ajouta Gauthier-sans-Avoir. — En route… en route… Avez-vous des provisions ? emportez-les ; avez-vous des ânes ? montez-les ; des charrettes ? attelez-les, mettez-y femmes et enfants ; si vous n’avez que vos jambes, sanglez-vous les reins, et en route pour Jérusalem ! Nous sommes des cents et des cents, nous serons bientôt des mille et des mille, nous serons plus tard des centaines de mille ; et en arrivant en Palestine, nous trouverons trésors pour tous, délices pour tous !

— Et tous, nous aurons gagné notre salut éternel ! — ajouta Coucou-Piètre d’une voix éclatante, en agitant sa croix de bois au-dessus de sa tête. — Partons pour Jérusalem… Dieu le veut !…

— En route !… partons pour la Palestine !… — s’écrièrent une centaine de serfs du village, entraînés par Colas malgré les prudents conseils du vieux Martin-l’Avisé. Ces malheureux, en proie à une sorte de délire, coururent à leurs huttes, y ramassèrent le peu qu’ils possédaient ; les uns bâtant leur âne à la hâte ; les moins misérables attelant un cheval ou des bœufs à leur charrette et y faisant monter