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la Commère-de-la-foi ! voici un rude questionneur. Comment t’appelles-tu, mon garçon ?

— Je me nomme: Colas-trousse-Lard.

— Aussi vrai que le jambon est l’ami du vin ! tu dois être parent de mon compère Simon-gratte-Coënne, — répondit Gauthier-sans-Avoir, au milieu des éclats de rire des serfs, égayés par cette saillie. — Or, tu me demandes, n’est-ce pas, mon digne Colas-trousse-Lard, ce que cela fait à notre divin Sauveur Jésus-Christ de voir son saint sépulcre au pouvoir des Sarrazins ?

— Oui, seigneur, — reprit le jeune serf ; — car enfin si ça le chagrine ? comment, puisqu’il est Dieu, ne les extermine-t-il pas ? ne les met-il pas en bouillie d’un seul geste, ces Sarrazins ?

— Malheur ! abomination ! désolation sur le monde ! — s’écria Coucou-Piètre avec des gestes frénétiques, en coupant à son tour la parole à l’aventurier gascon, qui se préparait à répondre. — Savez-vous, chrétiens, mes frères, ce qu’il dit Notre Seigneur Jésus-Christ ? « Ah ! gens sans foi, ingrats, impies ! je vous ai donné mon sang pour vous racheter... »

— Pour nous racheter de quoi et de qui ? — dit Colas-trousse-Lard en se grattant l’oreille. — Serfs ont été nos pères, serfs nous sommes, serfs seront nos enfants !

La question de Trousse-Lard embarrassa sans doute le moine, car il roula des yeux, se tortilla de nouveau sur sa mule et reprit d’une voix tonnante : « — Malédiction ! désolation ! Ah ! gens de peu de foi ! je vous ai donné mon sang pour vous racheter, et en retour vous ne me donnez pas le sang de ces Sarrazins maudits qui, chaque jour, outragent mon sépulcre ! » Voilà ce qu’il dit le divin Sauveur... entendez-vous ? voilà ce qu’il dit !

— Et le Seigneur Jésus-Christ ajoute ceci, — reprit Gauthier-sans-Avoir : — « Quoi ! ces Sarrazins maudits sont gorgés d’or, de pierreries, de vaisselle ; ils habitent un pays merveilleux où se trouvent à profusion, sans qu’on se donne seulement la peine de la